« L’instabilité générique comme forme du témoignage : “A Portrait of the Self as an Allegory” »
Conner Tom, Chateaubriand’s « Mémoires d’Outre-tombe », A portrait of the Artist as Exile, New York-Bern-Paris, Peter Lang, 1995.
S’ouvrant sur une brève « chronologie de la vie et de l’œuvre de François-René de Chateaubriand : 1768-18481 », l’ouvrage de Tom Conner Chateaubriand’s « Mémoires d’Outre-tombe », A portrait of the Artist as Exile déroute le lecteur. Dans l’introduction en effet, précédée par ces quelques pages de repères strictement historiques, l’auteur note que son étude concerne essentiellement le sujet autobiographique (« the autobiographic personae2 ») des Mémoires d’outre-tombe, mais peu l’homme, François-René de Chateaubriand. C’est en affirmant, après Proust, que l’écrivain romantique est un Janus bifrons, le visage de son moi social ne se confondant pas avec celui de son moi profond, que Conner entend explorer une tension entre le genre traditionnel des Mémoires et l’autobiographie, dans la lignée d’une littérature de confession inaugurée peu avant par Rousseau. Tom Conner fait du moi social (comme homme d’État et témoin des événements historiques d’une époque) l’objet des Mémoires, et du moi profond (comme sujet psychologique) l’objet de l’autobiographie. Une telle dichotomie conceptuelle – à la fois morale et littéraire – explique cette surprenante ouverture de l’ouvrage par une chronologie de la vie de l’auteur que l’on s’attendrait plutôt à trouver à la fin. Aux faits strictement biographiques, la chronologie mêle les événements historiques contemporains de la vie de Chateaubriand, tout en signalant, par la typographie, leur nette distinction, les événements historiques se trouvant en majuscules. Ce qui établit un lien entre ces deux visages, c’est la fiction et la création poétique en tant que « les personae créés par le narrateur sont des extensions fictives d’une conscience historique et existentielle3 ». La théorie de Conner semble ainsi faire de toute entreprise de représentation de soi ou de transposition, dans le champ de la littérature, d’événements réels, une fiction. Entre François-René de Chateaubriand et le sujet des Mémoires, il y aurait en quelque sorte une différence d’ordre ontologique.
L’élaboration elle-même des Mémoires d’outre-tombe – rédaction étalée dans le temps, problèmes éditoriaux liés aux différences entre manuscrits – déploie une forte dramatisation, qui participe de la construction de la figure poétique et fictionnelle de l’exilé. Cet aspect fait l’objet du premier chapitre de Chateaubriand’s « Mémoires d’Outre-tombe ». Le deuxième chapitre entend montrer que les données biographiques et historiques qui constituent certains passages que l’on pourrait juger strictement mémoriaux fonctionnent en réalité comme des données autobiographiques participant de la construction de l’instance narrative. Ce chapitre invite donc à lire les éléments historiques « au second degré », comme de simples indices renvoyant à la figure du narrateur. Le troisième chapitre, consacré à la figure de la sylphide dans l’œuvre, fait de celle-ci une construction imaginaire du narrateur visant à compenser sa tragique vie sentimentale. La sylphide offre une clé de lecture de l’œuvre, dans la théorie de Conner, parce qu’en tant que figuration esthétique (par conséquent fictive, aux yeux du critique) du fantasme du narrateur, elle permet au lecteur d’accéder à son intimité ou sa psychologie profonde, autrement dit au véritable sujet des Mémoires. Nous nous interrogerons sur l’intérêt d’une telle approche, en particulier de son rapport problématique à la référentialité dans les Mémoires d’outre-tombe : en effet, la compensation, au sens freudien de ce terme, doit bel et bien se faire dans le réel ; or Conner envisage cette compensation, du fait de sa conception du narrateur, sur le plan de la pure création littéraire, et non sur celui psychologique de la vie réelle de l’écrivain. Cette quasi-évacuation du problème du référent historique par Conner ne permet pas de saisir ce qu’a de particulier la sylphide, création à la fois poétique et philosophique au cœur du projet « mythobiographique » de Chateaubriand. Le quatrième et dernier chapitre de l’ouvrage de Conner adopte à son tour une approche thématique et a pour objet la nature, dont la description permet le déploiement subjectif du narrateur, conformément à la même théorie de l’écriture comme mode de compensation des fantasmes du moi profond.
Ce faisant, Conner biaise le pacte autobiographique lejeunien en faisant de l’autobiographie littéraire un genre non plus fondé sur la promesse de dire une vérité biographique, d’ordre factuelle, mais sur le dévoilement d’états psychologiques réels, dévoilement qui, dans la lignée post-structuraliste dépasse selon lui largement l’intention de l’auteur lui-même. L’autobiographique consiste alors à dire la vérité du moi profond, vérité qui passe par un travail littéraire de mise en fiction, sans que subsiste l’engagement référentiel constitutif, selon Lejeune, du pacte autobiographique4. Une telle dichotomie vise ici à répondre à une question que se posent la plupart des lecteurs des Mémoires d’outre-tombe : comment aborder cette œuvre génériquement hybride, oscillant entre Mémoires et autobiographie (Conner assumant l’usage quelque peu anachronique du terme « autobiographie » dans ce cas) ? Le critique fait le choix d’une approche à première vue thématique en s’attachant avant tout à la figure de l’exilé dans les Mémoires, le récit d’exilé devenant non seulement un genre littéraire à part entière, mais offrant de plus une posture existentielle face au monde. Cette posture, littéraire et existentielle, met en lumière ce point étrange où Mémoires et autobiographie se rejoignent sans se confondre –point où le narrateur, adoptant une certaine distance à l’égard de son récit, reste au seuil du monde comme spectateur et comme rêveur. C’est à ce curieux point trigonométrique, à la fois au cœur du monde et son orée, que se situe le Chateaubriand de Conner, entre sujet historique et « être de papier ». Nous tenterons, quant à nous, d’infléchir cette perspective et de voir dans l’exil non pas une fiction littéraire visant à déployer l’intimité psychologique de François-René de Chateaubriand, mais une position au seuil du monde, ouvrant un espace de réflexion philosophique, historique, mythologique et existentiel, déployant une véritable symbolisation du sujet.
Tom Conner tend à résorber les procédés propres aux Mémoires dans l’autobiographie, faisant des passages relevant a priori du genre des Vies majuscules (biographies d’hommes d’État, récits d’événements historiques où la considération du collectif l’emporte sur la description de la subjectivité d’un individu, corps social se trouve traversé par de conflictualités…) de simples détours destinés à mettre davantage en relief la posture du narrateur. Ainsi adopte-t-il une approche freudienne (le critique devenant l’analysant d’un texte-analysé), faisant de l’autobiographie un lieu d’expression et de réalisation des fantasmes que l’écrivain ne peut concrétiser dans la vie réelle. Nous questionnerons les limites de cette lecture qui semble finalement, surtout dans les deux derniers chapitres, rabattre la tension générique entre Mémoires et autobiographie sur le seul plan psychologique (le moi réel, social, contre le moi profond, vivant enfin par substitution ses fantasmes), mais néglige ainsi de traiter pleinement cette question sur le plan esthétique. Nous considérons en effet, quant à nous, que c’est l’entrelacement entre récit épique d’un temps historique et lyrisme d’un drame intime qui fait des Mémoires un « poème autobiographique », pour employer, en en changeant le sens, une expression de Conner lui-même, qui se heurte aux limites de ses propres concepts en dotant le narrateur (qualifié de persona littéraire) de qualités psychologiques, sous prétexte que celui-ci écrirait afin d’« affronter les contradictions de sa propre personnalité5 », selon une étonnante conception du narrateur rendant poreuse la distinction d’ordre ontologique entre création littéraire et vie « réelle ».
Écriture du moi et Écriture du moi social : d’une dichotomie conceptuelle à une hiérarchie des genres
Situé au confluent (non pas de deux époques ainsi que deux fleuves, comme Chateaubriand) d’une approche freudienne et d’une méthode post-structuraliste, et se targuant de rompre avec une longue tradition ayant abusivement associé René, Chateaubriand et le narrateur des Mémoires, Conner affirme que c’est ultimement du lieu de l’exil, comme éloignement de l’histoire et rencontre avec soi-même au sein de la nature, que se déploie avec le plus de transparence le sujet proprement autobiographique des Mémoires d’outre-tombe, révélant derrière le « moi social » le « moi profond » de l’auteur, largement indépendant du contexte historique et biographique de Chateaubriand. Le thème de l’exil devient une sorte de macrostructure de l’œuvre, au lieu d’en être un thème parmi d’autres. Or c’est probablement ce regard depuis le seuil qui permet à Chateaubriand comme homme, comme penseur politique, comme penseur de l’histoire, d’être proprement visionnaire sur son époque, de cerner les grands bouleversements et les irrémédiables ruptures dont celle-ci est le théâtre. C’est ce lyrisme des descriptions et des épanchements qui fait de l’intimité le lieu même du drame historique, tandis qu’à l’inverse le registre épique employé pour parler de son histoire personnelle voire intime construit une véritable dramatisation de la construction de soi.
Toutefois, si Conner parvient, ainsi qu’il le souhaitait, à faire oublier au lecteur moderne cette image stéréotypée de Chateaubriand en tant que René, produit d’une lecture littérale de ses récits, propre à rendre poreuses les frontières entre réalité et fiction, il oublie de prendre pleinement acte du fait que l’écriture romantique, issue de la révolution, se trouve marquée par la nécessité de repenser l’articulation entre l’individuel et le collectif, entre l’intimité et la marche de l’histoire.
Dans son premier chapitre, Conner retrace l’un des principaux fils narratifs des Mémoires d’outre-tombe, qui n’est autre que le récit de sa propre élaboration. En effet, les Mémoires d’outre-tombe ne sont pas seulement l’histoire d’un homme, mais aussi d’une œuvre, dont l’élaboration est constamment dramatisée (préfaces, correspondances, interruptions, parution imprévue en 1844 dans la presse pour des raisons financières…). Aussi ceux-ci autorisent-ils une double lecture selon deux échelons dramatiques, l’histoire de l’œuvre se surimprimant voire parasitant celle de l’homme. À l’époque où la critique littéraire a affirmé la mort de l’auteur, les préfaces et hors textes (ainsi que l’avait pensé Genette, attentivement lu par Conner) ne sont plus seulement des indices matériels permettant de nous renseigner sur la création de l’auteur lui-même, mais sont considérés à part entière comme faisant partie de l’œuvre de fiction, considérée comme une totalité. Peut-être même sont-elles un modèle plus vrai de la fiction. Tom Conner cite de ce fait abondamment les différentes préfaces de Chateaubriand : « Dans ce plan que je me traçais, j’oubliais ma famille, mon enfance, ma jeunesse, mes voyages et mon exil : ce sont pourtant les récits où je me suis plu davantage6. » Ou encore : « Je m’étais établi au milieu de mes souvenirs comme dans une grande bibliothèque : je consultais celui-ci et puis celui-là, ensuite je fermais le registre en soupirant, car je m’apercevais que la lumière, en y pénétrant, en détruisait le mystère. Éclairez les jours de la vie, ils ne seront plus ce qu’ils sont7. » Le narrateur livre ici, aux yeux du critique, des indices sur le processus de conception et d’élaboration des Mémoires. N’est-il pas toutefois préférable de lire ces citations comme un témoignage lucide de l’écrivain affirmant la vanité même de son entreprise de résurrection objective du passé ? Pour témoigner du passé, la seule voie possible est, en effet, celle du sujet individuel, ayant intimement vécu le passage du temps. Le récit du passé historique passe ainsi par le prisme singulier de l’auteur, d’où ce mélange étonnant entre lyrisme historique et épique de l’intime. En sorte que les Mémoires d’outre-tombe se présentent comme une enquête singulière8, prenant acte, à la faveur d’une étonnante lucidité, d’un double leurre : la difficulté à se saisir comme sujet à l’âge démocratique ; l’impossibilité de se libérer de l’histoire. D’où le statut privilégié de l’exil, offrant un point de vue, enrichi par une mémoire du passé historique et mythique, à la fois indépendant du présent et le surplombant, et offrant de brèves vues sur le processus de rédaction du mémorialiste mettant à nu une douloureuse conscience de dire ce qui n’est plus et ce qui ne sera bientôt plus, dans une course de l’écriture après l’être, effrénée et vaine. Ainsi du chant de la grive : l’heureuse réminiscence est battue en brèche par l’évidence que le passé est le passé. Selon nous, le narrateur apparaît donc plutôt comme un sujet existentiel confronté à un double néant : celui du passé et celui de l’avenir. Funambule, le « je » des Mémoires mène ses lecteurs sur des cimes vertigineuses, au bord d’un double abîme. Seule palpable pour le lecteur, cette voix dansant de phrase en phrase, dont les arabesques bâtissent patiemment cet immense édifice des Mémoires, surgies d’une voix comme surgies du néant.
Tom Conner se risque à parler d’écriture automatique lorsque Chateaubriand déclare que sa plume s’abandonnera à ses souvenirs. Mais l’acte d’écrire s’avère avant tout, ici, une interrogation métaphysique sur la place de l’individu au carrefour de siècles d’histoire et d’art, de littérature et de héros. Cette « plume libre » que semble revendiquer Chateaubriand, loin d’être une plongée dans l’inconscient au sens freudien, permet une expérience vertigineuse du moi, donc de l’être, qui n’a jamais fini d’apparaître.
Pour Conner, Chateaubriand emprunte principalement deux techniques au genre traditionnel des Mémoires : le regard rétrospectif et la narration chronologique, afin de les incorporer au genre autobiographique. En effet, le regard rétrospectif est en quelque sorte parasité par la présence d’un sujet narrant envahissant, rendant la frontière parfois poreuse entre le passé – du je narré – et le présent9. Deuxièmement, la chronologie de l’œuvre, structurée selon une savante division faisant de chaque période de la vie de l’auteur un « âge », presque au sens mythologique (le soldat et voyageur, l’homme de lettres, l’homme politique, l’auteur des mémoires) et, élément essentiel pour notre propos, de chacune de ces périodes une phase à laquelle correspond grosso modo un régime politique (révolution, empire, restauration, monarchie de juillet), selon une intime intrication entre temps biographique et temps de l’histoire. Conner présente néanmoins comme une contradiction cette présence à la fois d’un Chateaubriand humaniste désireux de contribuer au bien de la société, et ce qu’il appelle « la flamboyante parole romantique de la première personne ». « [… L]a notion d’autobiographie épique qu[e] [Chateaubriand] conçoit », écrit le critique, « lui permet d’exprimer les deux visages de sa persona littéraire : victime héroïque luttant contre l’adversité et témoin d’une époque extraordinaire10 ». Or comme le mémorialiste s’attachant aux conditions de parution de l’œuvre en 1844 lorsqu’il lui faut, sous la pression de difficultés financières, « hypothéquer [s]a tombe », Conner réaffirme l’enjeu fondamental que représente l’intégrité du sujet des Mémoires11. Et, faisant une brève histoire des éditions des Mémoires d’outre-tombe (des manuscrits mal menés par les éditeurs du XIXe siècle, jusqu’à l’étude de Maurice Levaillant pour l’édition en Pléiade, rendant enfin justice à l’œuvre, sans combler toutefois l’énorme lacune de l’absence du manuscrit original de Chateaubriand), Conner conclut à l’échec de l’auteur : il y a fragmentation de l’œuvre. Le monument des Mémoires d’outre-tombe semble ainsi émerger sur des ruines, ruines de son manuscrit, ruine de son auteur : d’outre-tombe.
Infléchissons quelque peu la thèse de Conner et disons qu’au lieu de choisir entre cette fausse alternative, Mémoires ou autobiographie12, Chateaubriand élabore une nouvelle forme, synthétique, capable de saisir les contradictions de l’homme moderne, à la fois sujet individuel irréductible à l’histoire et en même temps de part en part façonné par son époque.
Hybridité générique et double registre de représentation de soi
Avant d’affronter la difficile question de l’hybridité générique des Mémoires d’outre-tombe, il convient de rappeler que le genre des Mémoires aristocratiques est, lui-même, déjà considéré au XVIIe siècle, âge de son intronisation comme genre littéraire spécifiquement français, comme situé au « carrefour des genres en prose » (selon la formule de Marc Fumaroli), offrant un espace de liberté en dehors des contraintes formelles des théoriciens de la littérature et des impératifs moraux13. De là un genre pluriel pouvant accueillir des apports venus d’autres genres.
Toutefois, les Mémoires d’outre-tombe ont bien, comme le montre Conner, un statut spécifique. Une double rupture sépare Chateaubriand de Saint-Simon : les Confessions de Rousseau (dans le dernier chapitre, Conner étudie l’importance de l’héritage de Rousseau dans les Mémoires d’outre-tombe, ceux-ci se définissant en grande partie contre l’autobiographie du philosophe des Lumières14) et la Révolution (à l’inverse, la conséquence de cette rupture historique fondamentale sur la poétique propre à l’œuvre de Chateaubriand est une question à peine mentionnée par Conner, qui choisit, nous l’avons dit, de ne pas prendre en compte le contexte historique et littéraire). De plus, et comme en conséquence de ces deux ruptures, avec le romantisme, c’est la codification générique elle-même qui entre en crise (faillite des genres nobles, naissance de formes de plurigénéricité…)15.
Dans son deuxième chapitre, Tom Conner s’interroge sur les rapports qu’entretiennent la biographie de Napoléon, tout à fait centrale, et l’autobiographie au sein de l’œuvre. Traiter de la question de la biographie de Napoléon au sein des Mémoires d’outre-tombe est une approche de choix pour cerner les différentes voix du narrateur : le mémorialiste, le polémiste (opposé à la politique de l’Empereur), le biographe ou historien (qui s’intéresse à l’ascension et à la chute de Napoléon), le poète romantique (fasciné par la dimension épique de l’aventure napoléonienne), enfin l’autobiographie qui utilise Napoléon comme un faire-valoir. Conner note tout d’abord, et à juste titre, que l’auteur des Mémoires s’intéresse à Napoléon, et à la question des causes de son ascension et de sa chute légendaires, à la fois en tant qu’homme d’État, que philosophe, et que journaliste politique. Mais, se demande-t-il ensuite, pourquoi Napoléon occupe-t-il une telle place dans les Mémoires d’outre-tombe, qui vont jusqu’à établir un parallèle frappant entre Chateaubriand et l’Empereur ? Napoléon devient presque un faire-valoir, visant à faire ressortir avec davantage d’éclat la figure du mémorialiste dont il représente la personnalité profonde (le moi profond16). Le critique fait alors de l’autobiographie une sorte de macrostructure, comme un hyper-genre ou une hyper-forme, englobant toutes les voix et postures du narrateur17. Cette perspective semble esquiver, entre autres, la question du registre épique, employé ici comme lieu de rencontre entre l’intime et l’histoire, de l’auteur et de Napoléon. Or cette question intéresse la qualité proprement visionnaire du style de Chateaubriand, dont Conner traite d’ailleurs18. Cette vision extraordinairement lucide de l’auteur des Mémoires (qui prédit le chute de la monarchie et l’avènement d’une démocratie parlementaire, le déclin de l’Europe et l’émergence des États-Unis comme puissance mondiale, l’avènement du socialisme et les risques d’une société post-industrielle, tout en expliquant également des éléments du passé) a pour corollaire (ou bien pour conséquence) la conscience d’être le dernier à pouvoir écrire des Mémoires, vestiges d’un temps arrivé à son terme. Les tensions internes à l’œuvre s’avèrent en partie dues à ce sentiment que l’auteur a de se situer à la limite du genre des Mémoires, alors que l’époque romantique ouvre à la fois sur un éclatement des genres et sur une prédominance des formes de l’écriture de soi (ce que José-Luis Diaz a nommé, dans un article, le « siècle de l’intime19 »). Comment écrire une épopée alors que cela n’est plus possible, alors que le grand genre épique s’éteint ? C’est de ce paradoxe qu’émerge l’étrange voix du narrateur des Mémoires d’outre-tombe, où le lyrisme de l’intime devient en même temps « confidence » de l’universel. Aussi l’ambiguïté de la posture du narrateur n’est-elle pas, comme l’entend Conner, d’ordre moral20, mais d’ordre poétique, se situant à l’intersection du registre épique propre aux Mémoires et aux récits historiques, et du lyrisme, registre de l’expression de soi propre à l’autobiographie. Si Conner se livre à une analyse du registre épique dans les Mémoires d’outre-tombe21, peut-être aurait-il dû la compléter par une étude de l’ironie qui se loge, en parasite, au sein même de cette parole. L’épique, comme par un vers, se trouve rongé par ce regard ironique.
La sylphide et la description romantique de la nature : fenêtres ouvertes sur le moi profond
Dans le troisième chapitre de son ouvrage, Tom Conner affronte ce qui pourrait apparaître comme une contradiction à sa thèse, qui consiste à lire pleinement les Mémoires d’outre-tombe comme un texte autobiographique. Si, selon Lejeune, le pacte autobiographique se traduit obligatoirement, à un moment du texte, par le récit de l’histoire sentimentale de l’auteur, le critique est bien obligé d’admettre la discrétion du narrateur quant à l’évocation de ses désirs sexuels. Ainsi note-t-il que, tandis que le narrateur consacre quelques trois-cent-soixante pages à Napoléon, seules quelques-unes font écho à la femme ayant le plus compté pour Chateaubriand, Madame Récamier. Cette contradiction se trouve (trop) aisément résolue, pour Conner, par la méthode freudienne : derrière les apparences se trouverait une réalité correspondant au subconscient de l’auteur22. Le désir sexuel se voit incarné par la sylphide, qui dès lors n’est plus une figure symbolique, mais une clé de dévoilement du subconscient. Conner se livre alors à une analyse de la sylphide comme objet en soi qu’il s’agit de disséquer pour lever le mystère sur le désir érotique du narrateur – ou de Chateaubriand ? Le flottement s’opacifie en ce qui concerne la distinction des entités narratives, auteur et narrateur, que Conner prétendait avoir nettement différenciées23. L’a priori théorique du critique consiste à lire le texte comme une structure analogique à la structure des mécanismes psychiques. Ce qui le conduit à méconnaître le statut proprement mythologique de la sylphide ici, à la fois objet de désir et néant, incarnant la fracture du moi d’avec le monde. Paradoxalement, il semble que l’assignation d’un statut d’analysé au texte empêche de donner toute son ampleur à la dimension symbolique des éléments de ce texte. Conner fait de la figure de la sylphide la clé de la psychologie de l’auteur, alors que tous les autres éléments du texte (élans lyriques très rhétoriques, ton épique, méditations…) ne livrent à ses yeux jamais tout à fait l’auteur24. Cette lecture à clés, en somme, risque de refermer le texte en une structure définie, d’en faire une forme close et, une fois entièrement décodée, muette. S’appuyant sur Philippe Lejeune et sa notion de pacte autobiographique, dont la définition comporte le récit des désirs et aventures amoureux, Conner semble faire de ce genre intime un codage, par le biais de formes esthétiques, d’émotions et de désirs voilés, voire enfouis. L’autobiographie serait donc à reconstituer grâce à une pratique herméneutique conçue sur le modèle de la psychanalyse, ce à quoi Conner s’efforce de parvenir. La figure de la sylphide fait dès lors office de compensation pour le narrateur puisque l’auteur, élevé dans cette culture chrétienne, a vécu une sexualité contrariée et étouffée, vécue uniquement sur le mode du fantasme. Le commentaire de Conner adopte une dimension morale : l’écriture et ses clés dévoilent ainsi, après analyse, le narcissisme, voire le masochisme de l’écrivain.
En réalité, la sylphide est certes un objet symbolique, mais elle est surtout un procédé esthétique, une forme, à visée herméneutique. Conner réduit la déclaration de Chateaubriand : « [j]e m’étais un mystère […] », à un questionnement d’ordre psychologique. Finalement, c’est non seulement le texte, mais le sujet qui se referme ainsi sur lui-même : du regard désirant embrasser le monde et le moi, penser et mettre au jour les contradictions qui les opposent par l’écriture, Conner fait un jeu masturbatoire25. En développant la notion d’« écriture graphurbatoire26 », il réduit la littérature à n’être qu’un moyen d’assouvir ses fantasmes.
Les descriptions de la nature, analysées dans le dernier chapitre, sont soumises à une lecture à peu près similaire. Ces tableaux reflètent l’harmonie du moi et de la nature, la description fonctionnant comme un miroir où finalement le moi ne rencontre plus que lui-même. Pour Conner, l’expérience de la nature dans les Mémoires d’outre-tombe n’a donc pas une fonction uniquement esthétique, mais est un lieu de compensation des insatisfactions personnelles de l’auteur, son malheur, sa frustration, comme dans ce passage où Chateaubriand décrit la mer : « Je contemplais cette mer qui m’a vu naître, et qui baigne les côtes de la Grande- Bretagne, où j’ai subi un si long exil : mes regards parcouraient les vagues qui me portèrent en Amérique, me rejetèrent en Europe et me reportèrent aux rivages de l’Afrique et de l’Asie27. » Conner en fait un autoportrait tourmenté où, comme Narcisse, le narrateur, ne voyant dans l’eau que son propre reflet, s’y perdrait. Le critique ajoute très justement que c’est avec cette même mer que le narrateur établit ce que Lejeune appelle un pacte autobiographique : « Salut, ô mer, mon berceau et mon image ! Je te veux raconter la suite de mon histoire : si je mens, tes flots, mêlés à tous mes jours, m’accuseront d’imposture chez les hommes à venir28. » Néanmoins, cette citation montre un déplacement du pacte autobiographique sur le plan poétique et mythologique. C’est dans ce tragique autoportrait, où le sujet se trouve balloté par les flots de l’histoire, que peut se nouer le fondement de la vérité autobiographique, dans ce nœud du destin tragique collectif et de l’intimité profonde, du regard de soi sur soi. C’est dans le lyrisme émouvant de cette invocation à la mer, précisément témoin inlassable de l’histoire de l’humanité, qu’émerge le « pacte ». Émerge de cette mer un sujet qui devient l’allégorie de l’individu à la limite de l’histoire collective et de la mémoire subjective. Toute une mythologie de l’exil se déploie. Mais loin de s’attacher à cela, Conner n’envisage les Mémoires d’outre-tombe qu’à travers une double fonction : offrir une consolation aux peines liées au grand âge ; offrir une substitution aux échecs subis et conjurer l’exil intérieur29. Le projet initial aurait ainsi échappé à son auteur30.
En réalité, le sujet des Mémoires d’outre-tombe semble une synthèse de trois postures différentes, centrales au sein des écrits de soi : la posture du mémorialiste (qui part d’un capital social préalable pour raconter ses souvenirs en tant que prestigieux témoin d’une époque), la posture auto-analysante de l’autobiographie (cette réflexion sur une vie particulière part du postulat qu’elle est partageable avec d’autres, garantissant pour le lecteur un gain psychologique et existentiel), enfin la posture de témoin dont la vie a été bouleversée par les événements historiques, et pour qui le passage à l’écriture est presque de l’ordre de l’injonction pour rompre le silence31. Cette troisième dimension, implicite, est pourtant essentielle dans les Mémoires d’outre-tombe en ce que Chateaubriand est conscient d’assister à la fin d’un monde, de son propre monde – d’où la description particulièrement étrange des soirées de Combourg, qu’il est impossible de situer dans le temps (assiste-t-on à une scène médiévale ?), parce qu’ancrées comme dans un passé mythique et déjà lointain. À ceci près – et la différence est de taille – que Chateaubriand n’a pas l’impression de rompre un silence, mais de consacrer une disparition : mettre des mots sur ce qui aborde au néant.
Vers un dépassement de la dichotomie : l’autobiographie symbolique ou la mythographie
Les Mémoires d’outre-tombe regorgent de citations, explicites ou non. Homère, Virgile, Ovide et la Bible offrent les principaux intertextes. Cette pratique constante de la réécriture participe de l’épicité du style de Chateaubriand32. Le narrateur des Mémoires d’outre-tombe est, ainsi que l’a bien montré Jean-Christophe Cavallin, un palimpseste de diverses figures mythiques33. Ce procédé esthétique répond en réalité à une conception de l’individu comme partageant un destin commun avec l’humanité entière, et aux prises avec des questions fondamentales, portant essentiellement sur le rapport du sujet au temps : peut-on échapper au temps ? Y a-t-il un sens de l’histoire ? Comment penser les rapports du moi et de l’histoire ?
Chateaubriand a mêlé à la tradition des Mémoires du XVIIe siècle la sensibilité existentielle de Rousseau et la dimension prophétique qui imprègne l’écriture romantique de l’histoire34, ce qui implique de nouvelles techniques narratives, conduisant Chateaubriand à dépasser la perspective intimiste des Mémoires de ma vie (son projet initial) pour développer de manière systématique, dans les Mémoires d’outre-tombe, ce que Jean-Claude Berchet35 nomme « une autobiographie symbolique », envisagée comme un programme de représentation allégorique de soi, propre à transformer le modèle de récit autobiographie des Confessions de Rousseau.
Ce concept d’« autobiographie symbolique » appelle à reconsidérer le rapport entre fiction et littérarité. Alors que l’analyse de Tom Conner, encore empreinte des théories post-structuralistes, se fonde sur une confusion entre fiction et littérarité, faisant du narrateur un simple produit du texte lui-même, sinon détaché de tout ancrage biographique, du moins relativement autonome par rapport la référentialité, c’est, selon nous, précisément parce que Chateaubriand a conscience de se situer au croisement de deux époques que le sujet autobiographique ne peut être simplement considéré comme un persona littéraire, mais plutôt comme une voix, foyer d’une interrogation existentielle. La puissance poétique du discours parvient à maintenir une assise à ce moi contrasté, pluriel, imprégné d’un passé historique, littéraire et légendaire : moi à la fois prisme et sujet, à l’individualité irréductible. Ainsi le mémorialiste-autobiographe peut-il écrire : « Si j’étais destiné à vivre je représenterais dans ma personne, représentée dans mes Mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l’épopée de mon temps36. »
C’est pourtant la douleur du deuil qui, comme le remarque Jean-Claude Berchet, révèle l’absolu de la subjectivité face à l’histoire. L’auteur écrit à la mort de sa sœur Lucile : « Ce sont là les vrais, les seuls événements de ma vie réelle ! Que m’importaient, au moment où je perdais ma sœur, les milliers de soldats qui tombaient sur les champs de bataille, l’écroulement des trônes et le changement de la face du monde37 ? ». Les édifices de l’histoire, les gloires des grands hommes, les découvertes du voyageur, tout cela s’efface devant l’immensité du cœur que révèle la souffrance. Tom Conner affirme à juste titre que l’intimité du sujet individuel a un caractère irréductible ; du moins cette irréductibilité n’apparaît-t-elle pas, dans les Mémoires d’outre-tombe, à travers la création littéraire et l’élaboration d’une persona littéraire. Précisons que l’inviolabilité du sujet existentiel est l’un des fondements, proprement philosophique, de l’œuvre de Chateaubriand : un a priori, et non un a posteriori, pourrions-nous dire. C’est parce que l’homme « porte avec lui l’immensité38 » que l’écriture autobiographique devient possible d’une part, tout en faisant également de la symbolisation du sujet une nécessité. C’est cette dialectique, à la fois philosophique et poétique (puisque créatrice d’une nouvelle forme, en l’occurrence fondée sur un système de double référence : le moi, l’histoire) 39, qui permet de penser la conscience de soi comme un absolu et de représenter le monde comme une synthèse esthétique des contraires : individu et société, nature et histoire, action et rêve, esprit et matière, grotesque et sublime, etc. Et Jean-Claude Berchet de conclure : « C’est encore [cette relation dialectique] qui instaure au cœur des Mémoires d’outre-tombe un triple isomorphisme : un sujet éclaté à la recherche de son unité (le cœur a ses intermittences, mais il continue de battre), une histoire problématique à la recherche de son sens, une écriture fragmentaire à la recherche de son accomplissement dans une poétique nouvelle40. »
Les Mémoires sont « au sens le plus objectif, la manifestation mythologique de l’essence de cette époque à travers la révélation de la vérité spirituelle d’une existence […] », ainsi que l’écrit Jean-Christophe Cavallin, La vérité individuelle est alors le symbole de l’histoire du destin d’un peuple et du sens providentiel de cette histoire. L’ethos autobiographique n’est plus de l’ordre du confessionnel mais du figuratif. Ce que le sujet pense, fait, est à la fois individuel, c’est-à-dire élément de sa biographie, mais également un aspect d’une allégorie mythique. « La vérité, ajoute Jean-Christophe Cavallin, dans les Mémoires, n’est jamais le résultat d’une fidélité aux faits, mais toujours le résultat d’une adéquation aux exigences de l’allégorisation mythographique41. » L’exigence de vérité impliquée par le pacte autobiographique est bien présente, cependant, cette vérité, loin d’être un simple rapport entre le fait et le récit qui le transcrit, est le fruit d’une écriture de soi conçue comme une herméneutique. Nous pourrions dire que la vérité singulière que le lecteur cherche dans les Mémoires d’outre-tombe ne constitue pas l’aboutissement de l’écriture mais loge dans son processus même. L’instabilité générique de l’œuvre constituerait alors autant de tensions faisant saillir les inflexions et les replis de cette voix, parole intime se muant en polyphonie, de laquelle émergerait un véritable témoignage.
- 1. « A Chronology of the Life and Work of François-René de Chateaubriand : 1768-1848 », p. ix.
- 2. « In this study of Chateaubriand’s « Mémoires d’outre-tombe », I am not very much concerned with Chateaubriand the man [...]. My primary concern will be the autobiographic personae in the work […] » (p. 1. Nous traduisons).
- 3. « [...] the personae created by the narrator are fictive extensions of a historical and existential consciousness » (p. 3).
- 4. En ce sens, la définition que donnait Gustave Vapereau de l’autobiographie serait plus pertinente pour qualifier les Mémoires d’outre-tombe : « AUTOBIOGRAPHIE (du grec αὐτóς, soi-même, βíoς, vie, et γραφε⍳ν écrire), œuvre littéraire, roman, poëme, traité philosophique, etc., dont l’auteur a eu l’intention, secrète ou avouée, de raconter sa vie, d’exposer ses pensées ou de peindre ses sentiments. » (Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, 1876).
- 5. « The narrator writes an autobiography to come to grips with his own contradictory personality » (p. 6).
- 6. Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, éd. Maurice Levaillant et Georges Moulinier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1947, p. 526 (cité par Conner, p. 17).
- 7. Ibid., t. I, p. 632 (cité par Conner, p. 18).
- 8. « [...] je veux avant de mourir remonter vers mes belles années, expliquer mon inexplicable cœur, voir enfin ce que je pourrai dire lorsque ma plume sans contrainte s’abandonnera à tous mes souvenirs. [...] [E]t quand je me sentirai las de tracer les tristes vérités de l’histoire des hommes, je me reposerais en écrivant l’histoire de mes songes. » (Ibid., p. 525-526).
- 9. On peut citer, à titre d’exemple, ce passage des Mémoires d’outre-tombe : « Mon berceau a de ma tombe, ma tombe a de mon berceau ; mes souffrances deviennent des plaisirs, mes plaisirs des douleurs, et l’on ne sait si ces Mémoires sont l’ouvrage d’une tête brune ou chenue. » (Ibid., t. I, p. 1047).
- 10. « The flamboyant romantic speaking in the first person » (p. 29). Plus loin : « It is in this context that the narrator in 1833 conceives of the notion of an epic autobiography that will allow him to express the two sides of his literary persona: heroic victim struggling against the odds and witness to extraordinary times […] ».
- 11. « What the author fears above all else is fragmentation and distorsion of the individuality […] » (p. 31).
- 12. Cette alternative équivaut d’abord, d’un point de vue épistémologique, pour l’auteur, à un choix entre écrire l’histoire (projet qu’il abandonne en 1830 pour écrire ses Mémoires) ou le récit de sa vie. Le choix des Mémoires s’inscrit donc d’abord dans un refus d’écrire une histoire de France, donc d’un véritable projet d’écriture historique à proprement parler. Sans doute, l’ambition première se trouve-t-elle alors reportée et transformée, comme nous l’étudierons dans la dernière partie de notre analyse, au sein même des Mémoires.
- 13. Marc Fumaroli, « Les Mémoires du XVIIe siècle, au carrefour des genres en prose », Dix-septième siècle, nos°94-95, 1972, p. 5-37.
- 14. « As an author of autobiography in the early nineteenth century, Chateaubriand inevitably entered into a complex and ill-defined relationship with the author of the Confessions. [...] Like it or not, Chateaubriand’s memoirs were just as much a reaction against Rousseau as they were an affirmation of his own personality and aesthetic. » (p. 81).
- 15. J. Imbert, Itinéraires et plaisirs textuels. Mélanges [...], Louvain/Bruxelles, Pouillard, 1987, p. 85. Nous reprenons sa formule de « crise de la codification générique ».
- 16. « [...] Napoleon illustrates Chateaubriand’s own contradictory attitude towards life. He embodies both the vanity of all things and the necessity of rising above oneself to gain posthumous glory. » (p. 71).
- 17. Conner écrit : « I would like now to turn to Chateaubriand’s biographical and historical treatment of Napoleon Bonaparte and show how it continues the project of the Mémoires d’outre-tombe and underlies the epic and autobiographical perspective of Books XIX-XXIV taken as a whole. » (p. 61).
- 18. « The visionary quality of Chateaubriand’s style of history » (p. 62).
- 19. Brigitte Diaz et José-Luis Diaz, « Le siècle de l’intime », Itinéraires [En ligne], 2009-4, mis en ligne le 02 septembre 2014, consulté le 13 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/1052 ; DOI : https://doi.org/10.4000/itineraires.1052.
- 20. « The tragedy for Chateaubriand was that he was rather alone in his views and, secondly, that he himself assimilated many of the attitudes and prejudices he had set out to destroy. » (p. 81). L’ambiguïté de la tâche de l’écrivain est qu’en voulant déconstruire le mythe de Napoléon pour des raisons éthiques (démythifier Bonaparte, passer du général glorieux au sombre dictateur), il perpétue sa mémoire.
- 21. « His epic style blends in with historical and autobiographical designs and at the same time conforms to the norms set by ancient and modern poets alike: by Homer and Virgile, by works like the Chanson de Roland, by medieval French historians like Thibaut, Villehardouin, Joinville, and Froissart, and by romantic poets like Victor Hugo, too. An epic poem normally fulfills at least three requirements: its action is of vital interest to a nation or a people; it projects a dynamic and charismatic hero of truly extraordinary proportions who is capable of engaging the passions of friend and foe alike; and it creates a hyperbolic language or style which can sustain the exalted nature of plot, character, and meaning. » (p. 69). Conner étudie notamment ce qu’il appelle « the Epic arsenal: hyperbole, simile, metaphor, personification, periphrasis, alliteration ».
- 22. « This seeming contradiction can easily be resolved, however, if you accept a fundamental dichotomy in the work between appearance and reality, between conscious and subconscious meaning. » (p. 88).
- 23. « [...] I hope to show how the sylphide functions as a symbol of the narrator’s awkward and highly idiosyncratic experience of sexual desire » ; « As for methodology, I will draw upon the lesson of Freud, but in a non programmatic way » (p. 91).
- 24. « Simply put, the sylphide is a key to understanding Chateaubriand’s complex emotions; she alone provides le mot de l’énigme. » (p. 93).
- 25. « The pen (or pencil) used in the Author’s compositions, whether real or imaginary, literal or metaphorical, is a tool of desire, a means to an end but, just as obviously, an autoerotic substitution. » (p. 104).
- 26. Conner ajoute « as a compendium of sexual neuroses » (p. 121).
- 27. Chateaubriand, « Préface testamentaire », Mémoires d’outre-tombe, Paris, Flammarion, 1982, t. I, p. 4.
- 28. Ibid., p. 4.
- 29. « If the hero’s life had been a happy one, there would be no need for words; any MOT would be unnecessary. Instead, in the Mémoires there is a conflict between the self and the world, as well as among the different images of himself the hero projects. » (p. 165).
- 30. « It may well be that Chateaubriand wished to create an attractive public persona in his memoirs by explaining how he had contributed to his times, but he ended up writing a psychological autobiography in which he attempted to understand and justify his ambitions and frustrations to himself, if to no one else. » Conner ajoute : « The narrator literally seeks refuge in his memoirs, as he writes many times himself, and for that reason it is only natural that the work expresses another personality at variance with the self we display in society. As Proust wrote in Contre Sainte-Beuve, the moi social is almost always quite distinct form the moi profond, and it is therefore vain to seek the meaning of a work of literature in biography. [...] As Chateaubriand himself writes in another context, it is this other, inner reality he considers home: “Chaque homme porte en lui un monde composé de tout ce qu’il a vu et aimé, et où il rentre sans cesse, alors même qu’il parcourt et semble habiter un monde étranger.” » (p. 166).
- 31. Voir Jean-Louis Jeannelle, Écrire ses Mémoires au XXe siècle : déclin et renouveau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2008, p. 369-375, et « Le mandat mémorial », dans Politiques de l’autobiographie : engagements et subjectivités, dir. Jean-François Hamel, Barbara Havercroft et Julien Lefort-Favreau, Montréal (Québec), Nota Bene, 2018, p. 29-31.
- 32. « His epic style blends in with historical and autobiographical designs and at the same time conforms to the norms set by ancient and modern poets alike: by Homer and Virgile, by works like the Chanson de Roland, by medieval French historians like Thibaut, Villehardouin, Joinville, and Froissart, and by romantic poets like Victor Hugo, too. » (p. 69).
- 33. Jean-Christophe Cavallin, « Chateaubriand mythographe, autobiographie et injonction du mythe dans les Mémoires d’outre-tombe », Revue d’histoire littéraire de la France, no 6, novembre-décembre 1998, disponible en ligne sur JSTOR : https://www.jstor.org/stable/40533631.
- 34. Chateaubriand connaît bien les historiens contemporains et les problèmes théoriques auxquels ceux-ci sont confrontés. Il lit, comme Michelet, Vico et Ballanche, partisans d’une écriture de l’histoire plus philosophique que seulement descriptive.
- 35. Jean-Claude Berchet, « Les Mémoires d’outre-tombe : une “autobiographie symbolique” », dans Le Moi, l’Histoire 1789-1848, dir. Damien Zanone et Chantal Massol, Grenoble, ELLUG, 2005. Disponible en ligne : https://books.openedition.org/ugaeditions/3809?lang=fr.
- 36. Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, t. I, éd. citée, p. 1045-1047.
- 37. Id., Mémoires d’outre-tombe, 2 vol., éd. Jean-Claude Berchet, Paris, Librairie Générale Française, coll. « La Pochothèque », 2003-2004, t. I, p. 706. Cité par Jean-Claude Berchet.
- 38. Ibid., t. II, p. 1012. C’est l’une des dernières pages des Mémoires d’outre-tombe : « L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir ; il porte avec lui l’immensité. »
- 39. « Le génie analogique de Chateaubriand aura été de percevoir cette homologie structurelle que le destin avait établie entre son histoire personnelle et celle de son siècle, puis de la mettre en œuvre sur le plan littéraire à travers une infinité de relations métaphoriques. » (Ibid.)
- 40. Ibid.
- 41. Jean-Christophe Cavallin, « Chateaubriand mythographe, autobiographie et injonction du mythe dans les Mémoires d’outre-tombe », art. cité, p. 1097-1098. Cavallin conclut en écrivant que Chateaubriand « lit sa vie comme un mythe, c’est-à-dire qu’il y déchiffre à la fois l’épopée mythique de son époque et “le mythe chrétien” renouvelé ». L’écriture mythographique du mémorialiste est ainsi « la conséquence nécessaire d’une pratique de lecture de soi dérivant elle-même d’une philosophie concevant chaque individu comme un type universalisable, c’est-à-dire comme une figure des destinées historiques de l’humanité tout entière ».