Vivien, Renée
[TARN, Pauline] (Londres, 1877-Paris, 1909)
L’œuvre de Renée Vivien a été redécouverte en France à partir des années 1980 lorsque Jean-Paul Goujon a entrepris de rééditer ses poèmes qui, entre 1910 et 1930, avaient été régulièrement réunis dans des anthologies posthumes publiées par son premier éditeur Alphonse Lemerre. L’intérêt qu’ont soulevé ces textes en France et outre Atlantique a conduit à un renouveau éditorial. Néanmoins, force est de constater que les écrits de soi de la poète – son roman autobiographique Une Femme m’apparut…, ses riches correspondances et ses écrits de jeunesse – demeurent difficilement accessibles aux lecteurs. Née Pauline Mary Tarn dans une famille anglaise qui devait sa fortune au grand-père paternel, la jeune fille eut à subir dans sa jeunesse les souffrances que lui valurent la mort de son père et les mauvais traitements de sa mère. Elle devint pupille de la chancellerie le 17 août 1895, ce qui lui permit de jouir de la fortune paternelle, mais ce statut l’obligea à résider en Angleterre jusqu’à ses vingt-et-un ans, elle qui avait été élevée en France et considérait ce pays comme sa patrie. Après avoir regagné la capitale française aux alentours des années 1898-1899, elle publie son œuvre sous les pseudonymes de R. Vivien, Renée Vivien et Paule Riversdale et côtoie, notamment, Jean Charles-Brun, Natalie Clifford Barney, Hélène de Zuylen, Lucie Delarue-Mardrus, Colette et Willy. Entre sa féminité, son homosexualité, son expérience du deuil, ses amours malheureuses, ses addictions, sa création littéraire et sa mort prématurée à l’âge de trente-deux ans, Renée Vivien avait de quoi alimenter bien des rumeurs et des légendes qui fleuriront durant tout le siècle.
Pourtant, ni le texte qu’écrivit Pauline Tarn en 1893, Ma vie mes idées, ni les lettres qu’elle échangea avec le poète quinquagénaire Amédée Moullé durant les années 1894-1895 n’ont fait l’objet de véritables analyses. Inclassable, protéiforme, Ma vie mes idées circule entre les modèles : récit de vie rétrospectif d’abord, il construit ensuite une manière de se dire en empruntant ses procédés aux journaux spirituels et aux journaux profanes, et vise enfin à nourrir l’ambition littéraire de Pauline Tarn en devenant le carnet de ses projets littéraires ; cette œuvre de jeunesse, constitue un espace dans lequel l’autrice en devenir tente de matérialiser une trace de son « moi » et de lui donner forme dans un tournant de son existence. La correspondance qu’elle entretient ensuite avec Amédée Moullé marque le développement d’un « moi » écrivain et de ses postures. L’échange avec le poète conduit l’épistolière à composer des poèmes – souvent amoureux – qu’elle envoie à son correspondant et soumet à l’avis éclairé d’Amédée Moullé. Alors, l’écriture épistolaire devient progressivement un simulacre de correspondance amoureuse, phénomène dont les manuscrits des lettres ne gardent qu’une trace ténue en raison des suppressions qu’ils ont subies, mais que suggèrent les poèmes envoyés et l’ultime lettre.
Ces textes de jeunesse inédits sont suivis, quelques années plus tard, de nouvelles correspondances. Ainsi, les lettres à Natalie Barney qui sont en cours d’édition offrent une image de l’autrice adulte. Là encore, nous pouvons observer le fait que l’épistolière circule entre l’écriture poétique et l’écriture de soi. La correspondance à Jean Charles-Brun publiée par Nelly Sanchez aux Éditions du Mauconduit et les lettres à Colette présentées par Chantal Bigot dans le numéro 40 des Cahiers Colette font apparaître les échanges amicaux de Renée Vivien, son goût pour l’ironie et, dans le premier cas, le travail littéraire qui s’effectue dans l’échange qu’elle entretient avec le poète agrégé qui la conseille et la corrige.
Lorsque paraissent, en 1904 et en 1905, la première et la seconde édition remaniée du roman autobiographique Une Femme m’apparut…, Renée Vivien a déjà publié plusieurs recueils de vers. Ces textes synthétisent alors les problématiques de la construction du sujet et de l’identité qui animent toute son œuvre. En ce sens, le retour à l’écriture autobiographique constitue une nouvelle tentative de ressaisissement de soi pour l’autrice, phénomène qui se déclinera également dans les recueils de poèmes suivants. Roman à clefs, Une Femme m’apparut… relève d’un travail d’interprétation de soi. En effet, l’autrice apparaît à la fois à travers la figure du « je » et, en même temps, dans celle du personnage de « San Giovanni » dont la description et les paroles suggèrent des éléments de la biographie et de l’œuvre de Renée Vivien. En cela, Une Femme m’apparut… permet un dialogue entre plusieurs images de soi. De la même manière, la réécriture du roman qui aboutit à une seconde publication en 1905 – consécutive à la publication d’une première version en 1904 – montre que l’écriture d’Une Femme m’apparut… s’appuie sur un travail herméneutique de soi. Si l’autrice développe un récit dont la visée est la reconstruction de soi dans l’écriture rétrospective, elle y affirme en même temps le paradoxe de son désir qui voue à l’échec son entreprise : « Être ce que je fus, quoique j’aie oublié déjà qui je fus ! ».
Les lettres que Renée Vivien envoie durant la dernière partie de sa vie, de 1904 à 1908, à une femme turque, Kérimé Turkhan-Pacha – cousine des sœurs Nouryé, qui sont au cœur des Désenchantées de Pierre Loti –, constituent alors un laboratoire d’expérimentation des figures du « je » dans lequel l’épistolière développe un espace autobiographique fondé sur la reprise, dans l’écriture de soi, de vers, de motifs ou de thèmes de ses autres œuvres. Le statut très particulier de cette correspondance – dont nous ne pouvons déterminer si elle est authentique ou si elle est le fruit d’un projet de roman épistolaire inabouti, d’une supercherie ou encore d’un jeu littéraire – offre ainsi aux lecteurs et aux critiques une idée du rapport original de Renée Vivien aux écritures de soi. Circulant parmi ses œuvres en les reprenant dans l’écriture de soi, Renée Vivien introduit un « je » ambigu parce qu’il se situe à l’intersection de différents genres littéraires. L’œuvre de la poète apparaît ainsi comme une tentative toujours renouvelée de trouver dans l’écriture les ressources d’une construction de soi. Elle nous invite à interroger à la fois nos définitions du sujet et de l’identité ainsi que les limites de la catégorie des écritures de soi.
Bibliographie
Paul Lorenz, Sapho 1900. Renée Vivien, Paris, Julliard, coll. « Les insolites », 1977.
Jean-Paul Goujon, Tes blessures sont plus douces que leurs caresses, Paris, Éditions Régine Deforges, 1986.
Karla Jay, The Amazon and the Page. Natalie Clifford Barney and Renée Vivien, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 1988.
Virginie Sanders, La Poésie de Renée Vivien, Amsterdam, Rodopi, 1991.
Marie Perrin, Renée Vivien, le corps exsangue : de l’anorexie à la production littéraire, Paris, L’Harmattan, 2003.
Marie-Ange Bartholomot Bessou, L’Imaginaire du féminin dans l’œuvre de Renée Vivien : de mémoires en mémoire, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Cahiers romantiques », 2004.
Nicole G. Albert (dir.), Renée Vivien à rebours, études pour un centenaire, Paris, Éditions Orizons, coll. « Homosexualités – approches trans/genres », 2009.
Nicole G. Albert et Brigitte Rollet (dir.), Renée Vivien, une femme de lettres entre deux siècles (1877-1909), Paris, Honoré Champion, coll. « Littérature et Genre », 2012.
Tristan Guiot, « Une correspondance au statut problématique : enjeux historiques, théoriques et critiques des Lettres de Renée Vivien à Kérimé », Épistolaire, n° 48, Paris, Librairie Honoré Champion, à paraître en 2022.
Guiot Tristan, « Vivien, Renée », dans Dictionnaire de l’autobiographie, dir. F. Simonet-Tenant, avec la collab. de M. Braud, J.-L. Jeannelle, P. Lejeune et V. Montémont, Paris, Champion, 2017, p. , en ligne, URL : https://ecrisoi.univ-rouen.fr/dictionnaire/vivien-renee, page consultée le 23/11/2024.