Roman autobiographique

Le roman autobiographique, qui constitue une des combinaisons possibles entre roman et autobiographie, n’a pas manqué de soulever bien des réticences parmi les critiques : « notion parasitaire et inconsistante […] que l’on aimerait bien voir disparaître du vocabulaire critique » selon Henri Godard (Poétique de Céline, 1985) ou « fléau du discours critique dont on peut espérer aujourd’hui l’extinction prochaine » selon Jacques Lecarme (L’Autobiographie, 1997). L’ambiguïté de cette catégorie, résultat du mariage de la carpe et du lapin, explique pour une part sa disgrâce. Sans doute doit-on d’abord tenter une discrimination entre formes voisines pour mieux cerner la nature du roman autobiographique. Dans l’autobiographie (par exemple, Les Confessions de Rousseau), l’auteur conclut avec le lecteur un pacte qui revient à dire au lecteur : « C’est moi dont je parle ». Dans l’autobiographie ou les Mémoires fictifs (La Vie de Marianne de Marivaux), l’auteur s’inscrit dans un régime romanesque et suggère au lecteur : « Ce n’est pas moi dont il est question mais je fais comme si c’était moi. » Dans le roman autobiographique (L’Enfant de Vallès), l’auteur remplit avec le lecteur un constat ambigu : « C’est peut-être moi dont il s’agit mais ce n’est pas certain. »

Généalogie

Il est nécessaire pour mieux comprendre cette forme problématique de l’inscrire dans l’histoire littéraire. Au risque de diluer la catégorie et de succomber à l’illusion rétrospective, Vincent Colonna (Autofiction & autres mythomanies littéraires, 2004) croit distinguer des textes annonciateurs du roman autobiographique dans l’Antiquité tardive (Le Songe de Lucien) et l’époque médiévale (La Vie nouvelle de Dante). La majorité des critiques s’accordent pour situer les prémices du roman autobiographique à la fin du xviiie siècle ou au tout début du xixe siècle dans une atmosphère empreinte de werthérisme et de rousseauisme. Pour Jacques Voisine, le roman autobiographique naîtrait de la désintégration du roman épistolaire, manifeste dans les Ultime Lettere di Jacopo Ortis de Ugo Foscolo (1798), « un des plus étonnants spécimens de la littérature autobiographique du temps et de ses incertitudes » ; pour Thibaudet, ce serait La Nouvelle Héloïse de Rousseau qui constituerait le paradigme du roman autobiographique ; pour Gasparini, René de Chateaubriand. Les débuts du romantisme et d’un siècle associé au sacre et à l’héroïsation de l’écrivain apparaissent donc comme un terrain favorable à l’éclosion du roman autobiographique : celui-ci troque les rebondissements événementiels, qui furent la matière même du roman picaresque, contre les tumultes d’une âme qui se livre à une confidence masquée. Sainte-Beuve joue un rôle non négligeable dans la reconnaissance de cette catégorie, s’enthousiasmant pour Oberman de Senancour et forgeant l’expression de « roman intime » (1832). Oberman (1804), René (1805), Adolphe (1816), Émile (1827), Volupté (1834), La Confession d’un enfant du siècle (1834), Novembre (1842), Raphaël (1849), Dominique (1862) sont autant d’exemples de confessions obliques et déguisées où Senancour, Chateaubriand, Constant, Girardin, Sainte-Beuve, Musset, Flaubert, Lamartine et Fromentin sont à la recherche de leur identité au moyen de personnages qui sont des décalques et des projections d’eux-mêmes. L’expression « roman autobiographique » figure dans le Dictionnaire universel des littératures de 1876. Il est notable toutefois que cette catégorie littéraire ambiguë, hétérogène, dont la caractéristique la plus sûre est l’incertitude générique, fut peu théorisée par ceux-là mêmes qui l’ont pratiquée. Le courant réaliste et naturaliste ne manque pas de s’emparer de la formule et de la catégorie, lui réinjectant plus de romanesque et de péripéties (Le Petit Chose d’Alphonse Daudet, 1867) ou plus de causticité (la trilogie de Vallès et Poil de Carotte de Jules Renard, 1894). Joachim Merlant consacre en 1906 une thèse au Roman personnel, de Rousseau à Fromentin, usant indifféremment dans son texte de l’expression « roman personnel » ou « roman autobiographique ». L’expression est peu à peu disqualifiée, suspecte de biographisme positiviste puis devenue obsolète au temps du structuralisme triomphant et de la mort de l’auteur, mais cela ne signifie pas qu’on n’a plus écrit de roman autobiographique dans la seconde moitié du xxe siècle ou les premières années du xxie siècle : Jules et Jim (1953) d’Henri-Pierre Roché, Le Bouquet de roses rouges (1935) d’Isabelle Rivière – transposition transparente, non dénuée de maladresse, des relations de l’auteur avec son frère, Alain-Fournier, et son époux, Jacques Rivière – Les Armoires vides (1974) d’Annie Ernaux, Saison violente d’Emmanuel Roblès (1974), La Vacation de Martin Winckler (1985), Franz et François (1997) de François Weyergans, Les Pays (2012) de Marie-Hélène Lafon sont quelques exemples, parmi d’autres, de romans autobiographiques.

Définitions

C’est au roman autobiographique que se réfère Philippe Lejeune lorsqu’il explique l’origine de son grand chantier sur l’autobiographie : « Toute mon analyse était partie d’une évidence : comment distinguer l’autobiographie du roman autobiographique ? » (Moi aussi, 1986). Il montre dans Le Pacte autobiographique que le critère essentiel de distinction est l’identité onomastique (auteur / narrateur / personnage), critère non vérifié dans le roman autobiographique. L’on observe néanmoins qu’il évacue d’une certaine manière cette catégorie savonneuse, la subsumant dans la notion d’« espace autobiographique », dont la création fut d’abord inspirée par l’analyse de l’œuvre gidienne. L’espace autobiographique est une vaste chambre d’échos où l’écrivain cultive son goût pour l’ambiguïté, une architecture subtile où entrent en résonance textes lyriques, fictifs, essayistes et autobiographiques et une construction progressive, au fil des textes, de l’image de soi : c’est au sein de cet espace que l’on pourra décider d’un roman s’il est autobiographique par relation avec le reste de l’œuvre et par contextualisation intratextuelle.

Plus de quarante ans après Le Pacte autobiographique, il reste difficile de donner une définition unifiée d’une catégorie aussi fragile et polymorphe. Sans doute peut-on s’accorder sur le fait que le roman autobiographique est un texte de fiction, confidence transposée homodiégétique (La Vagabonde de Colette, 1910) ou hétérodiégétique (Le Vin de solitude d’Irène Némirovsky, 1935), qui suscite chez le lecteur une hypothèse – ce dont le texte parle n’est-il pas en réalité la vie de l’auteur ? – que rien dans le texte ne lui permet de confirmer. C’est intentionnellement que l’auteur joue avec le lecteur à cache-cache, ne souhaitant pas, pour diverses raisons, assumer l’identité auteur-narrateur-personnage et aiguisant par là même le voyeurisme du lecteur transformé en limier. Le roman autobiographique peut user des artifices du roman, en particulier du dialogue, dont la présence est parcimonieuse dans l’autobiographie mais parfois massive dans le roman autobiographique. Enfin la catégorie des romans autobiographiques est une catégorie graduée qui peut aller de la transposition conforme et ressemblante à la confidence oblique fort déguisée.

Il appartient à Philippe Gasparini, au temps de l’autofiction triomphante, d’avoir remis sur le devant de la scène la notion de roman autobiographique dans Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction (2004), essai qui, en dépit de son titre, parle essentiellement du roman autobiographique. Si une modernité oublieuse porte aux nues une autofiction à la génération prétendument spontanée, l’essai de Gasparini rappelle utilement que les rapports entre roman et autobiographie ont été posés bien avant l’ère de l’autofiction. Il établit que roman autobiographique et autofiction seraient des sous-genres connexes : « […] le roman autobiographique s’inscrit dans la catégorie du […] vraisemblable naturel. Il doit impérativement convaincre le lecteur que tout a pu se passer logiquement de cette manière. Faute de quoi il bascule dans un autre genre qui, lui, mélange vraisemblable et invraisemblable, l’autofiction. » Dans la mesure où l’autofiction est une catégorie aussi floue que vampirique, cette distinction peut laisser le lecteur sceptique. Peut-être la tentative par Yves Baudelle de discrimination d’avec l’autofiction du roman autobiographique réhabilité est-elle plus convaincante : « Mon propos portera moins sur l’intrusion du fictif dans le biographique, dossier désormais fort bien documenté, que sur le processus inverse : l’intrusion du biographique dans la fiction. Face à la présente hégémonie (au moins dans le discours universitaire) de l’autofiction, genre exemplaire de la dérive du biographique vers la fiction, je m’emploierai donc à réhabiliter la notion symétrique de roman autobiographique, à laquelle on a voulu ces derniers temps nier toute pertinence. » Reprenant la pierre de touche de distinction des sous-genres connexes – autobiographie, autofiction, roman autobiographique –, il observe que, « dans l’autofiction, tout peut être faux, sauf le nom principal. Dans le roman autobiographique, au contraire, tout peut être vrai, sauf les noms. La loi d’airain du roman autobiographique, c’est de changer les noms (mais s’il ne change que les noms, il n’est plus qu’un roman à clés) ». La position d’Yves Baudelle pourrait être utilement étayée par les apports de la critique génétique qui permettent de mesurer avec précision, dans certains romans, le rôle et le degré des données empiriques transposées. Le roman autobiographique, catégorie certes surannée, n’est sans doute pas moins fragile ni moins opératoire que la catégorie cousine, aux couleurs de modernité, qu’est l’autofiction.

Bibliographie

Yves Baudelle, « Du roman autobiographique : problèmes de la transposition fictionnelle », dans Protée, vol. 31, no 1, 2003, p. 7-26.

Philippe Gasparini, Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Seuil, 2004.

Albert Thibaudet, « Les Deux écoles », Réflexion sur la littérature, Gallimard, 2007, p. 1259-1263.

Jacques Voisine, Au tournant des lumières (1760‑1820) et autres études, L’Harmattan, 2010.


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Page: 
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Pour citer cet article: 

Simonet-Tenant Françoise, « Roman autobiographique », dans Dictionnaire de l’autobiographie, dir. F. Simonet-Tenant, avec la collab. de M. Braud, J.-L. Jeannelle, P. Lejeune et V. Montémont, Paris, Champion, 2017, p. 696-699, en ligne, URL : https://ecrisoi.univ-rouen.fr/dictionnaire/roman-autobiographique, page consultée le 27/04/2024.