« Une pratique éditoriale multiculturaliste du genre »
Riggs Thomas (dir.), The Literature of Autobiographical Narrative, Détroit, St. James Press, 2013, 3 vol.
The Literature of Autobiographical Narrative (dorénavant LAN) se veut un « reference guide » (LAN, p. XVII) des récits autobiographiques à travers le monde – plus d’une quarantaine de pays y sont représentés. Il ne s’agit ni d’une encyclopédie ni d’un dictionnaire, mais bien d’un vaste répertoire de textes autobiographiques. Les 300 entrées, rédigées par une équipe de 60 rédacteurs et de 72 réviseurs, prennent la forme de « critical introductions » (LAN, p. XVII), c’est-à-dire de recensions critiques d’un ouvrage en particulier. Chaque entrée suit la même organisation : une présentation générale de l’ouvrage (« Overview »), puis de son contexte historique et littéraire (« Historical and Literary Context »), une description de ses principaux thèmes et de ses particularités stylistiques (« Themes and Style »), le survol de sa réception par les contemporains et par la critique actuelle (« Critical Discussion »), enfin une brève biographie de sources critiques (« Further Reading »). La composition en trois volumes suit une logique générique – « Autobiography and Memoir », « Diaries and Letters », « Oral Histories » –, alors que l’organisation interne des volumes, qui diffère légèrement de l’un à l’autre, obéit à une logique thématique. L’objectif général de l’ouvrage, selon l’éditeur Thomas Riggs, est de fournir un point de départ aux chercheurs désireux d’approfondir l’étude d’une culture, d’un événement historique ou d’une subjectivité1. S’y croisent comme critères de sélection des textes l’importance de l’œuvre au sein des milieux d’éducation secondaire et universitaire, son genre, le pays d’origine de son auteur·trice, et la période historique qu’elle couvre. En cela, The Literature of Autobiographical Narrative vise à rendre compte de la diversité générique, culturelle et historique des récits autobiographiques.
Au-delà des questions que soulève la configuration de cet ouvrage, il s’agit d’un outil de travail indéniablement pertinent : chacune des entrées offre un aperçu documenté non seulement de différents aspects de l’œuvre commentée, mais également de l’état actuel des recherches sur cette dernière. Les ensembles thématiques qui organisent la structure interne des volumes étant plus ou moins clairement définis, les index à la fin des volumes (par thèmes, par auteur·trices et par titres) demeurent le moyen le plus efficace de se servir d’un ouvrage qui demeure, malheureusement, peu accessible.
La logique éditoriale mondialiste de l’ouvrage soulève toutefois un problème complexe de représentativité, celui du token ou du quota éthique, cela d’autant plus que cette représentativité est à la fois culturelle, historique, générique, formelle, et thématique. Dans le cas de The Literature of Autobiographical Narrative, ce « quota » peut être qualifié d’« épistémo-éthique » : il ne s’agit pas uniquement de rendre compte de la diversité ethnique d’une société, mais également de constituer un corpus aussi diverse à son tour. Cette démarche pose différents problèmes de classification et de sélection – c’est-à-dire de discrimination – restées plus ou moins implicites. Dans ce qui suit, je tente de montrer que l’opérateur de diversité du LAN est lié de manière essentielle au multiculturalisme américain. À noter qu’il ne s’agit pas de prendre l’ouvrage en défaut : les opérateurs de choix éditoriaux sont, dans un même temps, des opérateurs de généricité, des critères permettant de penser et de problématiser l’hypergenre « récit autobiographique ». Toute grille implique cependant un hors cadre, et ce que ce type d’ouvrage défend sans même avoir à se justifier est autant sinon plus intéressant que ce qu’il dit explicitement.
C’est, plus exactement, à l’analyse du premier volume de The Literature of Autobiographical Narrative que sera consacré le présent compte-rendu, et ce, pour deux raisons : ce n’est que dans ce volume que sont directement discutées les grandes lignes méthodologiques et théoriques sous-jacentes à la configuration de l’ouvrage ; c’est ce volume qui, sur le plan des questions éditoriales et génériques, me semble le plus – c’est-à-dire le mieux – poser difficulté. Afin de bien saisir les choix généraux, je proposerai d’abord une lecture de l’introduction aux trois volumes : partant de quelques exemples, le chargé de projet Richard Bradford évoque différents critères propres à penser et à problématiser le « récit autobiographique » (autobiographical narrative). Pour mieux situer la réflexion de Bradford, je lirai cette introduction à la lumière de la notion de life writing, qui modèle le champ de la critique autobiographique anglo-saxonne depuis le début des années 1980. J’analyserai ensuite l’organisation thématique du volume : l’obligation éthico-épistémologique de diversité semble susciter, à l’intérieur de chaque catégorie, certaines incongruités. Prolongeant l’analyse de l’introduction, cette étude sera aussi l’occasion de faire ressortir les embarras, au sein de chaque entrée, de classifications et d’interprétations des écrits de soi évoqués par Bradford en introduction. Dans un dernier temps, j’effectuerai une synthèse quantitative et qualitative de la représentativité éthico-épistémologique de l’ensemble du volume. J’aimerais ainsi ouvrir quelques pistes de réflexion pour une analyse possible d’un champ d’études, celui des écrits de soi aux États-Unis au tournant de la dernière décennie dans un contexte politico-épistémologique multiculturaliste.
Hypergenre et diversité
L’introduction plutôt courte du premier volume – quatre pages seulement – sert de propos liminaire à l’ensemble des trois volumes. Le texte est signé par Bradford, surtout connu pour ses travaux sur la biographie : en 2018, il a dirigé le Blackwell A Companion to Literary Biography, en plus d’écrire plusieurs biographies, d’Ernest Hemingway et de John Milton notamment2. Il a également dirigé, quelques années avant sa contribution à The Literature of Autobiographical Narrative, le collectif Life Writing: Essays on Autobiography, Biography and Literature3.
Son commentaire s’ouvre sur une justification du titre de l’ouvrage, une définition d’autobiographical narrative, qui à la fois s’apparente et se distingue de la (ou des) définition(s) de la catégorie générique life writing élaborée par la critique anglo-saxonne, par Bradford lui-même notamment. Dans The Literature of Autobiographical Narrative, la délimitation du genre des récits autobiographiques s’organise, selon Bradford, autour de deux critères complémentaires, énonciatif et thématique : « Un récit autobiographique est un propos tenu par un énonciateur à propos d’un aspect de sa vie4. ». La définition, plutôt classique, rappelle celle du pacte autobiographique lejeunien. Les critères énonciatif et thématique se subsument sous un seul critère d’identité : un énonciateur dit quelque chose de lui-même (critère énonciatif), et plus spécifiquement ce quelque chose est sa propre vie (critère thématique). Ce premier élément de définition est, par rapport à life writing, relativement contraignant, restrictif : dans Life Writing, Bradford réunissait sous cette étiquette générique des textes biographiques et autobiographiques. On lira également cette ouverture du critère d’identité opéré par le concept life writing dans l’Encyclopedia of Life Writing dirigée par Margaretta Jolly :
Le terme « life writing » lui-même, attesté au XVIIIe siècle, et gagnant une vaste acceptation académique depuis les années 1980, a été choisi pour titre [de l’encyclopédie] en raison de son caractère générique ouvert et son inclusif, et parce qu’il inclut l’écriture de sa propre vie et de celle d’autrui5.
La définition de Bradford (« an account by the teller », [« un propos6 tenu par un énonciateur »]) permet cependant d’ouvrir, à l’instar de life writing, le spectre des récits de vie à des manifestations non écrites. Le volume 3 est d’ailleurs entièrement consacré aux « Oral Histories » diffusées sous forme de livres. Dans The Literature of Autobiographical Narrative, cette ouverture du « critère technique » – les types de pratiques signifiantes et les types de supports – demeure donc limitée aux pratiques discursives narratives publiées sous forme d’ouvrages, alors que certains tenants de life-writing n’hésitent pas à explorer une plus grande diversité d’ego-documents :
Il est approprié d’inclure sous l’ombrelle de life writing des manifestations non écrites de récit de vie, incluant le témoignage, les artefacts, les souvenirs, la narration personnelle, les arts visuels, la photographie, les films, l’histoire orale, et plus encore7.
En première analyse, l’hypergenre « récit autobiographique » est par rapport à life-writing très restrictif : maintien d’un critère d’identité simple, exclusivité du support discursif « livre », mais ouverture aux récits parlés.
Or, s’inscrivant en cela dans la récente tradition couverte par le terme de life writing, The Literature of Autobiographical Narrative rend également compte de la pluralité des manifestations discursives du soi. Bradford précise : « Or sous cette définition générale repose une myriade de variations sur un même thème8. » L’appellation autobiographical narrative participe d’une même intention dominante que celle de life writing : réunir sous un même hyperonyme, ou hypergenre, une pluralité de pratiques signifiantes de soi. Ce regard critique a notamment pour but de repenser (et parfois de dépasser) certains couplages de catégories que concentrait la notion classique d’autobiographie (récit de vie unitaire écrit par un sujet à propos de lui-même), par exemple le départage entre autobiographie / littérature, écrit / oral, autobiographie / écriture intime, unité / pluralité, etc.
Dans The Literature of Autobiographical Narrative, cette ouverture à la pluralité se manifeste notamment par l’attention portée aux textes qu’à la théorie ou à la méthode, d’où la brièveté du propos liminaire, mais aussi l’absence d’entrée à textes multiples comme on les trouve dans l’Encyclopedia of Life Writing, ou encore une section « Theories » placée à la fin de chaque volume et au côté, donc à égalité, des autres ensembles thématiques. The Literature of Autobiographical Narrative cherche moins à effectuer des découpages théoriques dans l’objet « récit autobiographique » qu’il ne cherche à le donner à voir, le représenter. Or il n’en demeure pas moins qu’une certaine conception du récit de soi oriente les différents choix et, pour ainsi dire, opère ou performe une pluralité annoncée comme un état de fait. Puisque ce n’est pas le critère d’identité, comme pour life writing, qui opère la pluralité, puisque le critère technique demeure, toujours par rapport à life writing, restrictif, qu’est-ce qui ouvre le pluriel du récit de soi ? Autrement dit, en plus de la « sous-généricité » dont procède le découpage en trois volumes, qu’est-ce qui permet de voir la diversité, c’est-à-dire de distinguer, voire de dissocier, les textes les uns des autres ? C’est ce que cherche à expliciter Bradford dans son propos liminaire et, de manière cohérente avec le projet dans son ensemble, à l’aide d’une série d’exemples : dans un modèle représentatif, ce sont les textes eux-mêmes qui doivent servir de borne à l’objet « récit autobiographique ».
Après sa brève définition générale du récit autobiographique, Bradford présente les trois volumes, à commencer par celui consacré à l’autobiographie et aux Mémoires, que Bradford considère être « les manifestations du genre [du récit autobiographique] les plus connues9 ». Stratégiquement, le premier texte pris en exemple est l’autobiographie de Rosa Parks, My Story (1992). Conformément à la tradition nommée life writing, le récit autobiographique tel que pensé par Bradford laisse une large place aux récits de soi qui, sur les plans identitaire, thématique et stylistique, se distinguent d’une écriture de soi canonique blanche, masculine, unitaire et « littéraire ». D’entrée de jeu, le critère d’identité est toujours déjà thématique et stylistique, culturel : l’identité entre le sujet d’énonciation et le sujet d’énoncé n’est jamais neutre, purement numérique. En un sens, en insistant sur le pluriel des récits de soi et, plus encore, en opérant ce pluriel par l’entremise du concept implicite de diversité culturelle, Bradford cherche à déconstruire la représentativité englobante des canons autobiographiques. De manière similaire, Marlene Kadar, théoricienne féministe canadienne des écrits de soi, soutient que le concept de life writing accomplit deux choses :
Premièrement, il permet au canonique, ou au marginalement canonique, d’être considéré au côté du légitimement marginal. […] La deuxième tâche culturelle importante que le life-writing performe est reliée au genre [au sens du mot anglais gender]. Le life-writing se préoccupe de documenter et de reconstruire des vies de femmes […]. [Ces dernières] n’ont pas toujours écrit, ou parlé, dans un langage ou un style conforme aux juges du bon goût10.
L’écriture racialisée et l’écriture des femmes, ou encore l’écriture intersectionnelle, renvoient à des problèmes théoriques et historiques différents. Il n’en demeure pas moins que, comme la version féministe de life writing chez Kadar, le récit autobiographique de Bradford cherche à placer côte à côte des formes d’écriture historiquement marginalisées et d’autres traditionnelles, « autobiographiques » et « littéraires ». De manière générale, on pourrait donc parler, en plus d’un élargissement du critère littéraire ou stylistique, d’une attention portée aux spécificités thématiques des textes, et donc d’un opérateur thématique de diversification des récits de soi, opérateur qui joue un rôle implicitement politique et éthique : il s’agit de rendre visible des récits d’individus et de collectivités traditionnellement marginalisés, d’où l’importance stratégique de placer en tête de chacun des trois volumes une section intitulée « Adversity and Resistance », et d’ouvrir l’analyse du pluriel des écrits de soi par une référence à Rosa Parks. La théorisation du récit de soi, le choix des œuvres incluses dans The Literature of Autobiographical Narrative, ce que j’ai pris la liberté d’appeler « l’opérateur de diversité » – qui demeure à l’état de stratégie plus ou moins implicite chez Bradford – s’inscrit en ce sens dans le prolongement des Studies : Cultural Studies, études féministes, Disability Studies, Black Studies, etc. Seulement, cette diversification semble opérer d’autres couplages-découpages et ainsi produire une grille multiculturelle états-unienne, laquelle produit certains points aveugles. C’est notamment cet aveuglement relatif, ces effets de grille, qui seront discutés dans la section suivante de ce compte-rendu.
À l’opposé du spectre, de Rosa Parks, donc : le canon, ou l’autobiographie littéraire. Le second exemple de Bradford n’est autre que l’autobiographie de Vladimir Nabokov : Speak, Memory (1951). Bradford décrit ce texte comme une sorte de miroir inversé de Parks : « [ce texte] appartient à la même catégorie que le livre de Parks, mais il serait difficile de concevoir deux ouvrages plus contrastés11 ». Le contraste est, selon Bradford, de trois ordres ; le style, le rapport à la mémoire et, plus ou moins explicitement, le contenu éthique :
1) Parks écrit de manière « discrète et transparente » (« unobstrusive and transparent ») ; Nabokov écrit « comme un romancier » (« as a novelist ») ;
2) chez Parks, la mémoire individuelle est, d’un même geste, une mémoire historique ou collective ; chez Nabokov, la mémoire personnelle, bien qu’elle recoupe l’histoire, est d’abord une activité de production et de démultiplication des significations ;
3) Parks est une héroïne du civil rights movement ; Nabokov est un « un pédophile confessé » (« self-confessed pedophile12 »).
Bradford s’empresse d’ajouter un autre exemple, l’autobiographie de Maya Angelou, I Know Why the Caged Bird Sings (1969), laquelle, bien qu’elle soit écrite dans un style exploratoire, contient le récit d’expériences de violence raciales : l’ouvrage s’apparente ainsi au texte de Nabokov sur le plan stylistique et à celui de Parks sur le plan thématique. La limite de l’exploration littéraire est exemplifiée par The World of a Maasai Warrior (1986) de Tepilit Ole Scitoti, une autobiographie recourant à des procédés d’écriture ordinairement associés à la fiction (dialogue, mythe). Le « se dire » ou le « s’écrire » ouvrent ainsi un ensemble de questions sur le rapport entre la manière de se dire et la vérité sur soi ou, si l’on veut, sur la forme que peut prendre la description narrative de la vie et de soi-même. De cette série d’exemples se profile donc, en plus des critères éthique et stylistique, un critère épistémologique organisé autour des couplages vérité-style et vérité-fiction : comme dans le pacte autobiographique, le critère d’identité est pensé à partir d’un impératif de vérité. Cependant, The Literature of Autobiographical Narrative s’annonce relativement ouvert à l’inclusion dans le champ des écrits de soi de formes fictionnalisées, voire mensongères, d’autobiographies.
L’exemple utilisé par Bradford pour délimiter l’étendue de ce spectre stylistique et épistémologique est le cas limite de Mein Kampf (1925). Bradford souligne la pauvreté de l’écriture d’Adolf Hitler ainsi que le travail de falsification des faits opérés par le texte, puis ajoute : « [Mein Kampf] ajoute à notre connaissance sur la manière qu’un individu particulièrement dérangé a pu accéder au pouvoir13. » En ce sens, ce récit autobiographique est une « trace de notre passé et en particulier de l’empreinte de l’auteur sur celui-ci14 ». Le critère épistémologique interne (le rapport de vérité entre le texte et le réel) est alors doublé d’un critère externe : même s’il n’est pas véridique, le texte doit au minimum nous apprendre quelque chose sur l’histoire en général. Le critère épistémologique possède une certaine malléabilité : à la perspective de l’auteur peut se substituer celle du lecteur, et du même coup apparaît, sous la plume de Bradford, un nous, un sujet-lecteur-général lié à une mémoire collective, et dont l’identité demeure implicitement états-unienne.
Au terme de sa discussion sur Hitler, Bradford écrit : « Pour être inclus dans un des présents volumes, un ouvrage doit minimalement nous éclairer sur l’intention de son auteur et les circonstances de sa composition15. » Les critères subjectifs et épistémologiques sont en quelque sorte disjoints : le discours sur soi n’a pas à être vrai, il suffit que l’énonciation de soi se mette elle-même en scène comme énonciation de soi sur soi, et que le texte possède le potentiel de nous apprendre quelque chose sur notre histoire. Autant dire que, malgré l’ouverture à la diversité culturelle, ce qui fait fonctionner la machine générique de Bradford, c’est encore le pacte autobiographique et, plus exactement, une conception plutôt classique de la connaissance.
C’est d’ailleurs essentiellement le problème épistémologique qui occupe Bradford dans sa description des deux autres volumes de The Literature of Autobiographical Narrative. Bradford reprend, par exemple, le critère classique permettant de distinguer les journaux et les lettres de l’autobiographie : le privé et l’intime (voir LAN, p. XIV), c’est-à-dire la visibilité. Cette visibilité, Bradford l’associe directement au jeu du vrai et du faux dans l’écriture de soi, c’est-à-dire à la candor, la sincérité, le type de rapport établi entre sujet d’énonciation et sujet d’énoncé :
On peut […] s’attendre de ces documents à un niveau différent de sincérité que celle trouvée généralement dans les autobiographies destinées à la publication. Ce n’est pas que les auteurs de ces derniers écrits cherchent délibérément à tromper – à l’exception de figures telles celle d’Hitler – mais plutôt que, même dans les actes de dire-vrai sans fioritures comme My Story de Parks, y persiste un certain degré de performance [au sens d’une mise en scène de soi]. L’honnêteté peut être maintenue, mais l’expérience du lecteur est également considérée. Les journaux, étant destinés à soi-même, ne comportent pas de telles responsabilités16.
Or, d’une part, si de toute évidence certains journaux et lettres sont écrits dans le but d’être publiés (Bradford cite en ce sens les journaux d’Anne Franck et de Victor Klemperer), plusieurs autobiographes « ordinaires » ne cherchent pas de visibilité (on trouve ce type d’autobiographies non destinées à la publication dans des centres d’archives comme celui de l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique17). D’autre part, et plus fondamentalement, cette association entre honnêteté et non-publication, ou vérité et secret, ne va pas de soi. Tout se passe comme si, pour Bradford, le dire-vrai sur soi-même face à autrui était parasité par sa visibilité même, comme s’il n’y existait pas, dans le rapport de soi à soi ou à l’autre privilégié de la correspondance familière, une forme de mise en scène ou, plus encore, comme si le dire-vrai était possible sans une certaine scénographie. Aussi, en pensant le pluriel des écrits de soi en termes de « spectre », Bradford reconduit-il un ensemble de constructions binaires et rigides, soulignant par exemple dans son introduction à Life Writing :
Évidemment, l’appellation « fiction » associée à un récit implique la revendication, ou l’aveu, que le texte soit fait exclusivement d’inventions ou de non-vérités. […] À l’autre bout du spectre, les unités de langage qui ne sont pas destinées à la publication – journaux, cahiers de notes, correspondances, notes – peuvent être interprétées comme des exemples éclairants et francs d’autobiographies18.
À un bout du spectre : la fiction à proprement dite, qui ne peut donc pas être incluse dans le récit autobiographique, puisqu’elle rompt avec le vrai ; à l’autre bout du spectre : les écrits intimes, honnêtes, transparents. Ce spectre n’est possible qu’à l’intérieur d’une série de fausses évidences, d’une superposition d’oppositions : vérité-invention, vérité-fiction, privé-public, moi-autre. Selon Bradford, il existe donc une sorte d’obstacle épistémologique lié à la présence d’autrui dans la scène énonciative, comme si l’interlocuteur entraînait la corruption du dire-vrai, et que « dire » pouvait se passer d’un autre ne serait-ce qu’intériorisé parce que structurellement impliqué dans toute énonciation. C’est sur ce même problème de la présence d’autrui que Bradford insiste dans sa description des histoires orales, notamment lorsqu’il est question des entretiens. Celui-ci écrit : « Une fois encore, la question émerge à propos des concepts de fait et de vérité, et de la mesure dans laquelle ceux-ci sont influencés par le témoignage oral et la notion traditionnelle d’écriture19. » Une fois encore, cette question est liée à une certaine manière de concevoir les rapports entre le sujet et son dire-vrai sur soi-même, un point de vue qui s’articule implicitement autour d’une épistémologie de la représentativité se jouant, en vérité, sur deux plans : la capacité des textes à représenter une réalité historique ou subjective et la capacité de The Literature of Autobiographical Narrative à rendre compte du corpus existant des « récits autographiques ».
De manière générale, il semble que derrière l’ouverture à la pluralité revendiquée par les collaborateurs de The Literature of Autobiographical Narrative, les problèmes soulevés par Bradford demeurent essentiellement les mêmes que ceux issus de la réflexion sur l’autobiographie canonique : la relation entre vérité et fiction, entre le moi et l’autre, et entre ces relations entre elles. Autrement dit, l’approche privilégiée par Bradford ne permet ni de saisir les véritables enjeux éditoriaux « multiculturels » de l’ouvrage ni de comprendre l’influence des écrits issus de minorités sur la conceptualisation de l’écriture de soi.
Autobiography et Memoir
Le premier volume est, on l’a vu, consacré à l’autobiographie et aux Mémoires. À noter que nulle part dans l’ensemble de l’ouvrage n’est proposée une distinction claire entre les deux termes. Dans son propos liminaire, Bradford se contente de souligner que les auteur·trices d’autobiographies et de Mémoires « sentent habituellement qu’ils ont quelque chose de significatif à dire à propos de leur expérience privée ou que leur rôle comme témoin de l’histoire mérite d’être enregistré20 ». Les mêmes critères qu’en français (privé-public, individuel-historique) sont utilisés pour définir l’intention globale des écrits autobiographiques et mémoriaux, mais ces critères ne semblent pas spécifiquement définir l’un ou l’autre des termes. Le découpage par thèmes du volume, ainsi que l’emploi des termes dans les titres et par les contributeurs de The Literature of Autobiographical Narrative ne permettent pas davantage d’effectuer un découpage net : The Autobiography of W.E.B. Du Bois: A Soliloquy on Viewing My Life from the Last Decade of Its first Century (1968) de W.E.B Du Bois se retrouve dans la catégorie « Adversity and Resistance » en ce qu’il traite dans une large mesure des implications de Du Bois dans le civil rights movement, tandis que le récit de Frank McCourt, Angela’s Ashes (1996), qu’on retrouve dans la catégorie « Coming of Age », qui traite pour l’essentiel de l’enfance de l’auteur, est désigné comme memoir. Le récit autobiographique de Jeanne Wakatsuki Houston, Fareweel to Manzanar (1973), classé dans « War Experiences », est d’ailleurs considéré comme « un mémoire à la fois personnel et politique21 ». Katherine Bishop, dans son commentaire sur l’essai théorique de James Olney, Autobiography. Essays Theoretical and Critical (1980), cite Julie Rak, selon laquelle les termes autobiography, memoir et life-writing sont trop larges et trop imprécis : Rak suggère de redéfinir les genres afin de mieux saisir « la transformation des rapports entre l’idée de soi et le rôle des sphères privées et publiques dans le capitalisme contemporain22 ». La piste semble pertinente, mais n’est pas ici développée.
D’entrée de jeu, il semble que le modèle d’organisation par thèmes ne permette pas non plus de définir des catégories précises, d’autant plus que le principe de diversité semble avoir été appliqué à l’intérieur même de chacune des sections de l’ouvrage. Une telle imprécision soulève toutefois un ensemble de problèmes génériques intéressants que je me propose ici de commenter.
Adversity and Resistance
Cette première catégorie est orientée par le thème ou le contenu autobiographique des ouvrages : le récit de soi, à la croisée du personnel et du social, met en scène une vie qui fait œuvre de résistance. Le je, en même temps qu’il dit quelque chose de lui-même, dit quelque chose de son expérience de discriminations sociales ou d’une situation personnelle limite. La concentration sous une même rubrique de ces textes permet, par comparaison, d’observer différents rapports entre les pratiques d’écriture et la résistance et, parallèlement, entre le je et le collectif. Par exemple, alors que W.E.B. Du Bois est reconnu pour sa capacité à percevoir et à décrire le racisme sur un plan individuel grâce au double recours à la philosophie et à l’histoire, Maya Angelou – I Know Why the Caged Bird Sings (1969) – chercherait à résister par l’écriture elle-même, plus exactement par une utilisation désindividualisante de la première personne, une subversion de son signifiant « je » : « J’aime l’idée du récit d’esclave, utilisant la première personne du singulier, mais signifiant réellement toujours la troisième personne du pluriel23. » N. Scott Momaday, dans The Way to Rainy Mountain (1969), met en œuvre une stratégie différente, cohérente avec ses origines autochtones : son récit juxtapose l’histoire orale de son peuple à ses propres memoirs24. L’étude de la diversité culturelle des écrits de soi ouvre ainsi la réflexion à une diversité de formes scripturales du sujet.
Par ailleurs, six textes sur dix-sept sont coécrits ou écrits avec l’aide de collègues, généralement parce que l’auteur·trice n’est pas locuteur·trice de l’anglais ou parce qu’une condition particulière fait obstacle à l’acte « normal » d’écriture (Jean-Dominique Bauby est quadriplégique, Helen Keller aveugle). Dans la plupart des entrées, la coécriture n’est relevée qu’au passage et ne semble pas être un enjeu générique : My Story de Rosa Parks, sur la couverture duquel figure le nom de Jim Haskins, est plutôt célébré pour la simplicité de son style, sa sincérité. Le traitement accordé à Farah Ahmedi, The Story of My Life: An Afghan Girl on the Other Side of the Sky (2005), est similaire : Afghane immigrée aux États-Unis, elle a été secondée par Tamim Ansary dans l’écriture de son autobiographie dont le style est dit « direct et naturel25 ». Cependant, le cas de Mary Crow Dog pose directement le problème de la « voix » : l’autrice autochtone, dont l’autobiographie a été écrite avec l’aide de Richard Erdoes, s’est ouvertement plainte de la collaboration : « Comme certaines choses, [Erdoes] les reformulait. Je disais : “Pfff non, je ne parle pas comme ça26.” » De manière générale, il semble que cette question du « qui parle comment ? », de l’identité stylistique, touche virtuellement toutes les publications : du partage des premières esquisses à un lecteur privilégier aux interventions d’un éditeur, en passant par la traduction et l’assistance, un autre participe de la construction d’une voix personnelle. La question de l’auteur, du « qui parle ? », serait en ce sens moins un critère délimitant les écrits de soi qu’un ses pôles de problématisation. En sorte que l’étude de la diversité des écrits de soi remet en question la notion même d’auteur·trice.
On trouve toutefois majoritairement, sous cet emblème de la résistance, des textes narrant des luttes raciales, notamment les récits de Du Bois et de Parks, ou encore ceux de Nelson Mandela et d’Albert Luthuli. En tout, huit textes sur dix-sept traitent de la question noire, deux de la question autochtone et deux de l’immigration aux États-Unis (un Mexicain et une Afghane). Deux textes relèvent des Disability Studies, un du féminisme (je mets ici entre parenthèses la question intersectionnelle), et un dernier, qui aurait très bien pu se trouver dans la section « Coming of Age », raconte un cas d’abus physiques et psychologiques sur un enfant (Tobias Wolff, The Boy’s Life, 1989). Enfin, il y a Mein Kampf, qui s’avère inclassable. Quatorze récits sont issus du XXe siècle, alors que deux textes seulement couvrent le XIXe siècle – un récit d’esclavagisme et l’unique récit concernant les luttes féministes (Elizabeth Cady Stanton, Eighty Years and More, Reminiscences 1815-1897 – 1898). Seul le récit de Farah Ahmedi se situe au XXIe siècle. Douze récits sur dix-sept sont écrits par des Américains. La résistance est, pour ainsi dire, essentiellement ethnique, vingtiémiste et américaine. L’importance de rendre visible les récits du civil right mouvement n’est pas contestable. Seulement, le fait qu’un mode de classement implicitement lié à l’histoire des États-Unis soit voilé par une catégorie mondiale et transhistorique est questionnable, d’autant plus que cette assimilation se double d’une pratique du double-token : l’inclusion de textes signalant une ouverture à la diversité, tel celui de Farah Ahmedi, représentante de la culture afghane et du XXIe siècle, de Jean-Dominique Bauby concernant la France et le handicap, ou celui d’Elizabeth Cady Stanton pour la lutte des femmes et le XIXe siècle. Autrement dit, le double-token représente moins la diversité que l’ouverture même à la diversité : c’est une représentation de la représentativité.
Between Cultures
Cette seconde catégorie est, quant à elle, beaucoup plus diversifiée culturellement : seuls quatre ouvrages sur dix-huit ont été écrits par des Américains, et quinze nationalités différentes sont représentées. La généricité est, encore une fois, fixée selon des critères thématiques : récits postcoloniaux, récits de voyages, récits intersectionnels, récits d’immigration. La question dominante de la catégorie est celle de l’identité personnelle dans un contexte multiculturel de déportation, de migration identitaire : la pluralité des cultures y est décrite par de nombreux auteur·trices comme éclatement de l’individualité, et l’’écriture y a une fonction d’actualisation de soi27, de reconstruction. Ainsi Fadhma Aïth Mansour Amrouche, dans My Life Story (1968), relate-t-elle le conflit entre ses identités multiples, algérienne et française (LAN, p. 94) ; Esmeralda Santiago dans son récit d’immigration, When I was Puerto Rican (1993), se confronte à la dissolution de son identité première au contact de la culture américaine : « Negi est forcé de faire face à cette vérité essentielle que le succès dans une culture signifie souvent la perte dans une autre28. » Pour ce dernier, comme pour Elizabeth Kim, américaine d’adoption et coréenne d’origine, l’écriture est un lieu d’exploration identitaire, une manière de se donner « un sentiment de soi29 ». Les écritures de soi multiculturelles posent directement la question, pour ainsi dire ricœurienne, du récit en tant que forme particulière d’intelligibilité de l’hétérogénéité, mais dans la perspective moins temporelle et plus spatiale des lieux identitaires. On retrouve cette préoccupation dans la section « War Experiences » de LAN, notamment dans le récit d’immigration de Pablo Medina qui, suite à son expérience de la diaspora cubaine, cherche à se reconstruire un home (LAN, p. 297), terme qu’on peut traduire en français par le « chez-soi », autrement dit un espace qu’un individu habite et auquel il s’identifie.
Notons que l’idée d’une « humanité » en partage comme réplique à l’éclatement identitaire et sociétale parcourt l’ensemble du volume. On lira, par exemple, dans l’entrée consacrée à l’autobiographie de Barack Obama, Dreams from My Father: a Story of Race and Inheritance (1995) : « les rapports humains fondamentaux peuvent unir les individus issus de races, de pays, et même de différentes périodes historiques30. »
Toutefois, malgré l’insistance sur la variété culturelle, et cela est vrai pour l’ensemble du volume, la très grande majorité des textes de cette catégorie recoupe d’une manière ou d’une autre l’histoire du racisme aux États-Unis : l’autobiographie d’Olaudah Equiano (1794), nigérien, raconte sa condition d’esclave aux États-Unis au XVIIIe siècle ; celle de Claude McKay (1937), jamaïcain, raconte la découverte du racisme américain lors de son arrivée en 1912 ; celle de Sara Suleri (1989), pakistanaise, manifeste à travers une écriture fragmentaire le sentiment de perte de soi liée l’immigration aux États-Unis dans un contexte postcolonial. Aussi les textes couvrent-ils majoritairement l’histoire récente (XXe et XXIe siècles), dans une proportion de quatorze sur dix-huit. Les exceptions sont, en elles-mêmes, significatives. Mis à part le récit d’esclave d’Olaudah Equiano (XVIIIe siècle), les deux seuls textes antérieurs au XXe siècle sont les récits de voyages de Charles Darwin (1887) et de Marco Polo (1298) : de manière générale, à travers tout le volume, les autobiographies qui précèdent l’histoire récente (des États-Unis) sont des autobiographies, pour ainsi dire, appartenant à « l’histoire mondiale », d’où le choix au final très arbitraire d’inclure Mein Kampf.
Coming of Age
Cette catégorie reconduit, dans l’ensemble, les mêmes enjeux que les deux précédentes : en deçà de la thématique commune, l’enfance, la diversité ethnique est en quelque sorte américanisée (neuf textes sur dix-huit sont d’auteur·trices d’origine américaine ; trois textes sur neuf des récits non américains se rapportent de près aux États-Unis) et la période historique couverte est essentiellement le XXe siècle (quatorze sur dix-huit). Que les récits autobiographiques présentés dans LAN soient majoritairement américains n’est pas en soi ni un problème ni une surprise : on attendrait la même chose d’un guide de référence français ou autre ; ce qui est plus surprenant, c’est le manque de diversité historique (l’histoire n’est pas un opérateur de diversité) et l’omniprésence de textes issus de cultures autres qu’américaines mais se rapportant le plus souvent aux États-Unis. Tout se passe comme s’il n’y avait d’histoire qu’américaine.
Par ailleurs, le problème de la « fictionalisation », voire du détournement des faits, est dans cette catégorie omniprésent. Richard Wright (Black Boy, 1945) aurait par exemple omis certains faits. Cette section donne toutefois davantage de place à des ouvrages plus ouvertement fictifs : l’ouvrage de Taha Hussein, An Egyptian Childhood (1926-1927) est le récit à la troisième personne d’un enfant aveugle, « selon toute apparence Hussein31 » ; Dylan Thomas (A Child’s Christmas in Wales, 1954) aurait écrit une « autobiographie fictive32 » ; Doris Lessing (Under My Skin, 1994) pose directement la question de la vérité sur soi et du changement dans le temps. L’enfance semble difficilement racontable sans poser le problème de la reconstruction narrative. Plus largement, l’ouverture du critère d’identité (ou si l’on préfère du pacte autobiographique) semble donc caractériser, pour des raisons qui peuvent être différentes, les récits d’enfance (problème de la mémoire), les récits issus de cultures non occidentales (problème des modalités culturelles et scripturales d’appréhension de soi) et les récits de femmes (problème d’écriture genrée). Or, sur le spectre imaginé par Bradford, ces textes seraient moins « vrais » qu’une autobiographie classique. En dépit de son ouverture à la diversité, celui-ci reste donc pris dans une perspective binaire qui, me semble-t-il, ne rend pas compte du corpus réuni par cet ouvrage. L’ouverture à la diversité incite plutôt à penser la pluralité des formes scripturales du dire-vrai sur soi-même sans les hiérarchiser selon une échelle reconduisant les catégories classiques : vérité-fiction. En ce sens, et pour ne citer qu’un exemple, l’autobiographie de la sénégalaise Ken Bugul, The Abandoned Baobab (1982), classée dans la rubrique « Between Cultures », est une fiction autobiographique qui aurait pour objectif de « réécrire le genre autobiographique mâle et bourgeois33 ». Une ouverture réelle à de nouvelles voix dans le corpus des récits autobiographiques suppose, me semble-t-il, de repenser le « genre » moins comme un corpus et davantage comme un ensemble de points de pertinence, c’est-à-dire comme un champ de questions s’articulant autour de différents rapports, notamment entre les notions d’auteur·trice, de texte et de vérité. L’ouverture à la diversité incite à cette modification du regard.
À noter la présence, sous cette rubrique, de Persepolis (2000-2003) de Marjane Satrapi, une des deux bandes dessinées graphiques du volume – l’autre étant A Cartoon Story of Hiroshima (1973) du japonais Keiji Nakazawa, dans la catégorie « War Experiences ». L’ouvrage fait se recouper les préoccupations épistémologiques qui traversent LAN : un dire-vrai historique sur l’Iran, reconstruit à partir des souvenirs subjectifs de l’autrice. Que les deux seules bandes dessinées graphiques soient issues de cultures hors Amérique me semble à nouveau montrer le privilège qu’a l’opérateur de diversité multiculturelle sur d’autres opérateurs possibles, le type de support livresque par exemple. Aussi, Persepolis et A Cartoon Story of Hiroshima en sont des exemples, les textes issus des cultures arabes et asiatiques couvrent-ils, pour la plupart, un passé très récent. Tout se passe comme si la courbe de diversification des textes suivait l’histoire de l’immigration américaine ou, si l’on veut, d’une mondialisation largement américaine. Là encore, l’ouverture à la diversité voile une politique américaniste mondialiste pour laquelle l’histoire des écrits de soi ne commence, quantitativement, que depuis une période assez courte.
Contemplation and Confession et Theories
Ces deux sections, en plus de reconduire plusieurs des enjeux que j’ai déjà présentés, soulèvent des questions similaires aux précédentes, mais permettent d’examiner en particulier la diversification des textes à l’intérieur même des ensembles thématiques. Dans les deux cas, le corpus est majoritairement masculin et blanc (11 sur 16 et 9 sur 16 pour « Contemplation and Confession » ; 10 sur 14 et 9 sur 14 pour « Theories »). Les périodes historiques couvertes sont toutefois, dans la catégorie « Contemplation and Confession », beaucoup plus diversifiées que pour l’ensemble de l’ouvrage : 10 des 16 textes sont antérieurs au XXe siècle, le plus ancien étant The Medidations of the Emperor Marcus Aurelius Antoninus (180 ap. J.-C.). En plus des grands classiques du genre des Confessions, saint Augustin et Jean-Jacques Rousseau, on trouve également l’intéressant Book of Margery Kempe, récit de la quête spirituelle d’une mystique anglaise du XVe siècle. Plus étonnante est l’inclusion d’Infidel (2007) d’Ayaan Hirsi Ali : l’autrice relate son expérience de l’Islam – et les événements du 11 septembre 2001 –, mais dans une perspective moins contemplative que critique. Étonnante, aussi, est l’inclusion de Darkness Visible (1990) de William Styron, dans lequel l’auteur raconte et analyse sa lutte contre la tentation du suicide. Afin d’ouvrir une catégorie fortement liée à l’histoire des pratiques de soi à des textes contemporains (liés à l’histoire des États-Unis), l’ensemble « Contemplation et Confessions » doit posséder un contenu moins générique ou historique que thématique, lui-même double : soit le texte, celui d’Hirsi Ali, recoupe le thème du « religieux » ; soit le texte, celui de Styron, est une narration-réflexion dont l’objet est la construction morale de soi. On n’expliquerait pas autrement la présence de Giambattista Vico (XVIIIe siècle), dont l’objet est moins la religion que la construction intellectuelle de soi, au côté de Malcolm X (XXe siècle) : la religion est certainement un aspect important de l’autobiographie de ce dernier, mais on s’attendrait plutôt à retrouver son nom au côté de celui de Rosa Parks, ou à tout le moins dans la catégorie « Adversity and Resistance ». À noter, également, l’ouverture du « religieux » à la « spiritualité » en général : par exemple, Pablo Neruda (Memoirs, 1974) se construit grâce au pouvoir de la poésie, Henry David Thoreau se forme au contact de la nature (Walden; or, Life in the Woods, 1854). L’effet de filiation créé par le regroupe thématique n’est, sur ce point, pas inintéressant.
La catégorie « Theories » fonctionne de manière similaire : a priori, sur le plan thématique, on pourrait dire de l’ensemble des textes qu’ils mettent en question la notion même d’autobiographie à travers une réflexion sur le genre ou une expérimentation formelle. Or ce contenu est lui-même implicitement historique (2 textes sur 14 sont antérieurs au XXe siècle) : la réflexion théorique sur le genre serait en ce sens une invention récente. Toutefois, une interprétation très libre du terme théorie permet de faire se rencontrer des ouvrages diversifiés, voire de natures différentes. On notera par exemple la présence sous cette bannière de deux ouvrages qui ne peuvent d’aucune manière être appelés « récit autobiographique » : The Autobiographical Pact (1975) de Philippe Lejeune et Autobiography : Essays Theorical and Critical (1980) de James Olney. Placé entre les deux, An Autobiography, or The Story of My Experiments with Truth (1927) de Mohandas Gandhi, qui traite moins des rapports entre écriture et vérité que de la fonction politique de la vérité. « Theories » reçoit donc une très large acception. Par ailleurs, le « qui ? » de l’auteur·trice semble être un des critères implicites de sélection des textes : plusieurs textes de cette catégorie sont écrits par des auteur·trices ayant à un moment où à un autre publié des textes théoriques (sur la littérature ou autre), ou appartenant plus largement aux champs intellectuel, philosophique ou universitaire. On trouvera par exemple Memories of Girlhood (1996) de bell hooks, figure essentielle de la théorisation des enjeux raciaux aux États-Unis, ou encore les autobiographies de John Ruskin, Roland Barthes et Mary MacCarthy, respectivement critique d’art, théoricien de la littérature et critique littéraire. Plusieurs textes recoupent la question fiction-vérité (Goethe), mettent à mal l’autobiographie classique par leur forme éclatée, fragmentée, et par leur scène énonciative particulière (Mahmoud Darwish s’adresse à lui-même). Certains auteur·trices déconstruisent la notion même de genre par une pratique de l’assemblage (Lorraine Hansberry, Annie Dillard). Dans tous les cas, à l’exception de Lejeune, Ganhdi et Olney, l’ensemble des ouvrages explore en pratique les limites formelles et génériques du récit autobiographique.
Par ailleurs, c’est dans cette catégorie que se trouvent non seulement le plus grand nombre de textes de Français (Lejeune et Barthes), mais également le plus grand nombre de références à des auteur·trices français·es : Jacques Derrida et Michel Foucault, André Gide, Stendhal, Montaigne, Michel Leiris et Hélène Cioux n’avaient pas, jusque-là, été mentionnés. Il ne s’agit pas, en soi, d’un problème, mais bien d’un indice supplémentaire permettant d’affirmer que l’opérateur de diversité de The Literature of Autobiographical Narrative est une certaine vision américaine du monde : la forte présence de la France dans la catégorie « Theories » rejoue le topos américain d’une « France théorique » véhiculé par la French Theory.
Synthèse : multiculturalisme et hypergénéricité
Je ne reviendrai pas sur la dernière section de ce premier volume de The Literature of Autobiographical Narrative, « War Expériences », laquelle rejoue dans une large mesure les questions soulevées par le reste du projet, notamment celle de la coprésence de diverses cultures en un seul individu et l’écriture comme forme de réparation de soi. En guise de conclusion et de synthèse, je résumerai plutôt l’ensemble de mes précédentes observations, en faisant appel, en dernière analyse, à quelques statistiques d’ensemble. Cette série d’observations se veut un bref répertoire des problèmes soulevés et des pistes de réflexion ouvertes par le corpus d’étude ici réuni. Il s’agit, en quelque sorte, d’une série de points de repère et de questions de recherche pour une possible étude plus approfondie sur le champ des écrits de soi aux États-Unis.
Diversité(s)
Dans The Literature of Autobiographical Narrative, que la diversité multiculturelle se concentre autour de réalités américaines (la lutte contre le racisme, l’immigration, les guerres) n’est pas seulement un effet de disponibilité des textes en anglais, ou un effet de traduction : c’est un choix éditorial implicite, intentionnel ou non, lié à une pensée et à une pratique de l’histoire à la fois mondialiste et américaine. Plus encore, si c’est bien l’effet d’une absence de circulation des textes, il devient politiquement et méthodologiquement urgent de mieux faire circuler les textes de culture en culture, et ce, non pas pour homogénéiser la culture, mais plutôt pour contribuer à l’élaboration d’une pratique du décentrement de soi et des espaces identitaires.
Dans tous les cas, de nombreux textes issus de cultures variées sont, au final, liés à l’histoire des États-Unis (dans la section sur les guerres, par exemple, on trouvera le récit de Pearl Harbor par l’immigrante japonaise Jeanne Wakatsuki Houston, ainsi qu’un récit de la guerre du Vietnam par Le Ly Hayslip). Par ailleurs, les textes non américains, mais issus de la culture occidentale appartiennent-ils, pour ainsi dire, à l’histoire « mondiale de l’Occident ». L’Amérique du Nord est essentiellement états-unienne : on ne trouve aucune entrée canadienne et un seul texte mexicain, ce qui est particulièrement étonnant vu la proximité (géographique, historique, politique, voire démographique) des États-Unis avec le Mexique. L’Amérique latine n’est d’ailleurs que très peur représentée (deux textes seulement). La grande majorité des textes avant le XXe siècle sont européens (autour de 70 %), ce qui suggère que la division entre un « ancien » et un « nouveau » monde est encore aujourd’hui opératoire. Derrière le fonctionnement par thèmes, la séparation par siècles continue d’opérer, malgré les efforts pour diversifier chacune des catégories : par exemple, la « résistance » est liée au XXe siècle américain ; la contemplation aux siècles antérieurs et à l’Europe.
La question de l’identité sexuelle et de genre est presque totalement absente du volume : il n’y a dans l’ensemble du premier volume qu’une seule entrée dédiée aux Gay et Lesbian Studies – Alison Bechdel, Fun Home: A Family Tragicomic (voir LAN, p. 139-141). De manière générale, les formes minoritaires d’identité de genre sont soit évoquées allusivement au passage, soit littéralement invisibles (dans l’ensemble du premier volume, aucune autobiographie ne traite des réalités trans, de la bisexualité, des personnes intersexes, ni spécifiquement de l’homosexualité masculine – il y a bien dans le corpus des auteurs homosexuels, mais l’homosexualité n’apparaît pas comme un critère éditorial de choix des textes, pas plus que l’écriture homosexuelle de soi ne semble être une question spécifique).
La préséance accordée à la diversité culturelle, couplée à une intention de diversité liée au critère épistémologique (la question des rapports entre vérité et fiction, vérité et forme), en un mot la quête d’une pluralité maximale semble donner lieu à une pratique de double-token – sont privilégiés des ouvrages permettant de remplir deux ou plusieurs critères de diversité à la fois. The Literature of Autobiographical Narrative a par ailleurs tenu son pari sur le plan ethnique : 36 % des récits autobiographiques sont signés par des auteur·trices « blanc·hes », laissant ainsi un espace notable pour d’autres « ethnicités », la culture afro-américaine étant l’une des mieux représentés (19 %) – c’est donc bien l’ethnicité le principal critère de sélection, et donc de discrimination, des textes. La question spécifique de la lutte des femmes, si elle est soulignée dans plusieurs entrées, ne donne lieu qu’à de rares entrées spécifiques. La statistique est difficilement compilable à cause de la pratique du double-token ; il n’en demeure pas moins que la lutte des femmes n’est pas un opérateur de choix éditoriaux. Hommes et femmes n’atteignent qu’une parité de surface : 60 % pour les hommes et 40 % pour les femmes. On ne trouve que 8 % de textes écrits par des femmes blanches sur l’ensemble du volume, comparativement à 28 % de textes écrits par des hommes blancs. En comparaison, les femmes et les hommes racisé·es sont paritaires (32 % pour chaque catégorie). Une telle diversité ne parvient à s’imposer dans chacun des ensembles thématiques qu’au prix de distorsions génériques et historiques. Toutefois, une étude plus approfondie des différents corpus ainsi constitués permettrait assurément de faire ressortir de cette torsion des catégories un ensemble d’enjeux tout à fait pertinents (la coécriture, le home, la diversité culturelle et genrée des formes scripturales du soi, par exemple).
Plus généralement, d’un point de vue méthodologique, une appellation comme autobiographical narrative et le champ disciplinaire auquel il se rattache semblent liés à des politiques culturelles : pour mener plus avant l’analyse d’un ouvrage comme The Literature of Autobiographical Narrative, il faudrait donc passer par une réflexion plus approfondie sur le multiculturalisme américain et sur l’histoire des États-Unis.
Hypergénéricité
Bien que dans son introduction la réflexion de Bradford soit, pour ainsi dire, plutôt classique, le regroupement de différents textes remet en question, à l’instar du terme life writing, la rigidité des différents critères servant traditionnellement à circonscrire le corpus des écrits de soi.
Le critère d’identité, à la fois énonciatif et thématique, c’est-à-dire le rapport entre le sujet d’énonciation et le contenu de sa production discursive, s’ouvre au contact de la pluralité des textes ; le critère d’identité stricte (je de l’énonciation = je de l’énoncé) se trouve ébranlé. Plusieurs textes sont coécrits (le je de l’énonciation est double) ; plusieurs textes cherchent à dire-vrai sur une situation collective, une époque, à travers le récit d’une expérience singulière (le je de l’énoncé est représentatif, par son expérience vécue, d’un je pluriel) ; plusieurs textes revendiquent un je d’énonciation collective (le je de l’énonciation est implicitement un nous). Plusieurs auteur·trices utilisent la fiction ou d’autres procédés stylistiques non seulement pour dire vrai sur eux-mêmes mais aussi pour rompre avec la tradition épistémologique classique liée au critère d’identité stricte. Ces remises en question sont rendues possibles par un choix éditorial d’ordre épistémo-politique : rendre visible ce qui, historiquement, a été invisibilisé. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, cette visibilisation demeure largement orientée par une grille de lecture américanocentrique. Le critère « littéraire » ou stylistique, l’ouverture aux écrits « ordinaires », non canoniques, participent largement de cette visibilisation : la critique littéraire doit être entendue, comme le voulait Kadar, comme une pratique autant épistémologique que politique. Le critère technique, ou le type de support et de signes utilisés pour manifester le soi ou la vie, n’apparaît plus particulièrement pertinent dans ce volume ; seul le cas de la BD autobiographique rompt (timidement) avec le support traditionnel « texte ». Comme déjà mentionné, le récit autobiographique est une version soft de life writing.
La résistance des textes au spectre vérité-fiction imaginé par Bradford me porte à croire que les critères à partir desquels les hypergenres sont définis doivent être pensés comme autant de lieux de problématisation des genres. Le critère d’identité qui devait permettre de distinguer un hypergenre d’un autre (récit de soi / récit de l’autre ; récit de soi / fiction) n’est pas l’opérateur d’une limitation nette, ferme, mais bien un point de tension, le moyen d’une problématisation des textes. Plus exactement, dans un ouvrage comme celui-ci, la « limite » des genres fonctionne à la manière d’un champ de problématisation : au-delà ou en deçà des efforts de conceptualisation, la narration autobiographique se définit moins par des critères stables que par le type de problèmes que posent les pratiques concrètes du récit de soi.
Au final, la délimitation d’un hypergenre capable de circonscrire un corpus large de textes, la possibilité de penser le récit autobiographique ou le life-writing moins comme un regroupement de textes que comme une pratique de lecture, c’est-à-dire comme une manière de problématiser des objets textuels, l’existence même d’un guide de référence… : tout ceci participe de la structuration d’un champ d’études quasi autonome, se pensant parfois au-dedans et parfois en-dehors du champ littéraire. Bradford soutient, par exemple, que le récit autobiographique, par sa diversité et sa richesse, par son pouvoir politique d’éduquer et de transformer le regard des lecteurs, doit être pensé comme une « forme littéraire de plein droit34 ». C’est là, il me semble, ce qui distingue de manière essentielle Bradford du courant ordinairement couvert par le terme life writing. Pour quelqu’un comme Kadar, l’idée de life writing doit permettre de penser et de structurer un champ d’étude qui, bien que recoupant celui de la littérature, en diffère plus radicalement : « Sans nier la Littérature, life writing nous permet de considérer celle-ci, aussi, comme l’une des formes possibles d’écriture particulière35. » Il n’y existe pas, selon Kadar, d’écriture « ordinaire » de la vie ; dans The Literature of Autobiographical Narrative non plus d’ailleurs, dans la mesure où les récits autobiographiques sont liés, de près ou de loin, à notre histoire.
- 1. « [The Literature of Autobiographical Narrative is a] tool for researchers who wish to locate a starting point for a detailed scrutiny of a place, an event, or a state of mind » (LAN, p. XVI).
- 2. Richard Bradford (dir.), A Companion to Literary Biography, Hoboken, Wiley-Blackwell, 2018 ; The Man Who Wasn’t There : A Life of Ernest Hemingway, Londres, I.B. Tauris, 2019 ; A Brief Life John Milton, Londres, Hesperus Press, 2013.
- 3. Id. (dir.), Life Writing: Essays on Autobiography, Biography and Literature, Basingstoke, New York, Palgrave Macmillan, 2010.
- 4. « An autobiograhical narrative is an account by the teller of some aspect of his or her life. » (LAN, p. XII).
- 5. « The term “life writing” itself, recorded in the 18th century, and gaining wide academic acceptance since the 1980s, has been chosen for the title because of its openness and inclusiveness across genre, and because it encompasses the writing of one’s own or another’s life. » (Margaretta Jolly, Encyclopedia of Life Writing: Autobiographical and Biographical Forms, London, Routledge, 2001, p. XI).
- 6. Le terme account possède une équivocité difficilement traduisible en français. On pourrait suggérer compte-rendu, ce qui renverrait à une certaine objectivité, en tout cas, à une intention de se plier à une obligation de rendre-compte, c’est-à-dire de représenter un objet. On pourrait également traduire account par version afin d’insister sur la part subjective qu’implique la représentation du réel. J’opte pour propos qui, par son manque de précision, me parait rejouer une équivocité cohérente avec le propos de Bradford.
- 7. « [I]t is also appropriate to shelter under life writing’s umbrella several entries on life story originating outside of the written form, including testimony, artifacts, reminiscence, personal narrative, visual arts, photography, film, oral history, and so forth. » (LAN, p. IX).
- 8. « Yet beneath this overarching definition lie myriad variations upon a theme. » (LAN, p. XII).
- 9. « [T]he best-kown manifestations of the genre [autobiographical narrative] ») (LAN, p. XIII).
- 10. « First, it allows the canonical, or marginally canonical, to be considered alongside the legitimately marginal […]. The second important cultural task that life-writing performs is related to gender. [Life-writing] is concerned with the documentation and reconstruction of women’s lives […]. [T]hey have not always written, or spoken, in a language or style which suited the judges of good taste. » (Marlene Kadar [dir.], Essays in Life-Writing, Toronto, University of Toronto Press, 1990, p. 13-14, citée par Christl Verduyn, « Between the Lines: Marian Engel’s Cahiers and Notebooks », dans Marlene Kadar [dir.], Essays on Life Writing: From Genre to Critical Practice, Toronto, University of Toronto Press, 1992, p. 29).
- 11. « [This text] belongs in the same category as Parks’s book, but it is difficult to conceive of two more constrasting volumes » (LAN, p. XIII).
- 12. LAN, p. XI.
- 13. « [Mein Kampf] adds something to our knowledge of how a particularly foul individual came to power ») (LAN, p. XIV).
- 14. « [T]race of our past and in particular the imprint of its author’s involvement therein » (LAN, p. XIV).
- 15. « In order to qualify for inclusion and coverage in these volumes, a work must at least enlighten us as to the mindest of its author and the circumstances that led to its composition. » (LAN, p. XIV).
- 16. « We might, therefore, expect from such documents a different level of candor than is generally found in autobiographies intended for publication. It is not that authors of the latter deliberately set out to mislead – with the exception of figures such as Hitler – but rather that, even in unadorned acts of truth-telling such as Parks’s My Story, there is a degree of performance. Honesty might be maintained but consideration is also given to the experience of the reader. Diaries, being designed for self-consumption, carry no such responsibilities. » (LAN, p. XIV).
- 17. Voir autobiographie.sitapa.org.
- 18. « Obviously when the appellation “fiction” is attached to a story it involves the claim, or admission, that the piece is made up exclusively of inventions and unthruts. […] At the other end of this spectrum units of language that were not intended for public dissemination – diaries, notebooks, correspondance, jottings – can be seen as in themselves both illuminating and candid exemples of autobiography. » (Richard Bradford, Life Writing, op. cit., p. XIII.)
- 19. « Once again questions arise about the concepts of fact and truth and the extend to which they are influenced by oral testimony and conventional notions of writing. » (LAN, p. XVI).
- 20. « Their authors usually feel that they have something significant to say about their private experiences or that their role as witnesses to moments in historiry merits permanent record. » (LAN, p. XIII).
- 21. « [B]oth a personal and a political memoir » (LAN, p. 299).
- 22. « [T]he changing relationship between ideas of selfhood and the role of public and private spheres in late capitalism » (LAN, p. 248) – voir Julie Rak, « Are Memoirs Autobiography?: A consideration of Genre and Public Identity », Genre, vol. 37, nos 3-4, 2004 [disponible en ligne, https://doi.org/10.1215/00166928-37-3-4-483].
- 23. « I love the idea of the slave narrative, using the first person singular, really meaning always the third personal plural. ») (Maya Angelou, cité dans LAN, p. 17).
- 24. Voir LAN, p. 54.
- 25. « [S]traightfoward and natural » (LAN, p. 41).
- 26. « Like some of the stuff, [Erdoes] would reword it. I would say, “Gee whiz, I don’t talk like this.” » (Mary Crow Dog, cité dans LAN, p. 23).
- 27. « [S]elf-actualization » (LAN, p. 103).
- 28. « Negi is forced to face the essential truth that success in one culture often means loss in another. » (LAN, p. 109).
- 29. « [S]ens of self » (LAN, p. 104).
- 30. « [F]undamental human connection can unite people from different races, countries, and even historical moments » (LAN, p. 79).
- 31. « [O]stensibly Hussein » (LAN, p. 136).
- 32. « [F]ictionalized autobiographical account » (LAN, p. 124).
- 33. « [R]ewrite the traditionnaly male, bourgeois genre of autobiography » (LAN, p. 64).
- 34. « [A] literary form in its own right » (LAN, p. XIV).
- 35. « Without wanting to deny Literature, life writing allows us to see it, too, as only one possible category of special writing. » (Marlene Kadar, « Coming to Terms: Life Writing – from Genre to Critical Practice », dans Essays on Life Writing, op. cit., p. 13).