« De la recherche biographique en éducation à l’approche littéraire des écrits de soi »
Delory-Momberger Christine (dir.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, Paris, Érès, 2019, 466 p.
L’ouvrage se veut un bilan en situation et en dialogue de la recherche biographique en éducation : en situation, car il propose un état de la recherche sur le sujet ; en dialogue, car il entend également montrer les possibles échanges avec d’autres courants de recherche. À la différence d’un dictionnaire, animé par une ambition encyclopédique, le Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique définit un nombre limité de notions et de démarches (150 entrées) regroupées par ordre alphabétique en quatre sections. La première section (« Notions »), la plus importante de l’ouvrage, propose une soixantaine de définitions portant sur les éléments-clés de la recherche biographique en éducation. Quelque peu déroutante par son nombre élevé de néologismes et d’expressions soulignées par les italiques (biographicité, biographisation, hétérobiographie, etc.), cette section est cependant la voie d’accès la plus rapide à la compréhension de ce champ de recherche particulier. La deuxième section (« Courants et théories ») s’attarde moins sur les définitions de termes essentiels audit champ de recherche que sur la circonscription des différentes théories ayant influencé l’état actuel de la recherche biographique, comme l’École de Chicago ou l’herméneutique. C’est également ici que s’amorce une étude comparatiste de la recherche biographique à l’étranger, tout particulièrement en Allemagne (Biographieforschung) et en Amérique latine (recherche auto-biographique). Manque cependant – étonnamment d’ailleurs – une entrée consacrée à l’histoire de la recherche biographique dans les pays anglo-saxons (Biography research). La troisième section (« Démarches et pratiques ») explicite les enjeux théoriques et pratiques de la recherche biographique ; Gaston Pineau y propose, par exemple, une définition des histoires de vie en formation. Enfin, la quatrième et dernière section (« Champs ») insiste sur les lieux de formation et les domaines essentiels pour la recherche biographique en éducation, qu’il s’agisse de la formation des enseignants ou des études concernant le genre ou les migrations.
Il s’agira dans cet article de s’interroger sur l’intérêt, mais également les difficultés, d’un dialogue entre l’approche biographique en éducation – approche que l’on pourrait qualifier de « pratique », de « pédagogique », voire de « clinique » des écrits de soi – et l’approche littéraire de l’écriture à la première personne. Nous définirons dans un premier temps le plus simplement possible ce qu’est la recherche biographique en éducation, car bien qu’il englobe l’approche littéraire des écritures de soi, un tel courant n’a – bon gré mal gré – pas encore pleinement pénétré notre domaine de recherche. Nous tenterons ensuite de montrer comment ce type de recherche pourrait être utile à une étude littéraire de l’autobiographie, avant de signaler rapidement quelques possibles apports proprement littéraires à l’étude du fait biographique, point nodal de la recherche biographique.
La « recherche biographique en éducation » : tentative de définition
Qu’est-ce donc que cette recherche biographique en éducation1 ? Il s’agit d’un courant de recherche relativement récent des sciences humaines et sociales présent en France sous la forme d’un collège (le CIRBE – Collège International de Recherche Biographique en Éducation) présidé par Christine Delory-Momberger (Paris 13 Sorbonne Paris Cité), d’une revue (Le Sujet dans la Cité : revue internationale de recherche biographique) et d’une association (l’ASIHVIF-RBE – l’Association Internationale des Histoires de Vie en Formation et de Recherche Biographique en Éducation, dont la fusion avec l’ASIHVIF date de 2008). Ces différents organes de recherche entendent étudier les « modes de constitution de l’individu en tant qu’être social singulier » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », Vocabulaire des histoires de vie, p. 252). Sans que soit jamais revendiquée explicitement une paternité sartrienne, c’est bien la notion d’universel singulier – citée par Franco Ferrarotti dans Histoire et histoire de vie (1983) – qui est au cœur des intérêts de la recherche biographique : « Universel par l’universalité singulière de l’histoire humaine, singulier par la singularité universalisante de ses projets, il [l’homme] réclame d’être étudié simultanément par les deux bouts2 ». Pour comprendre à terme les rapports singuliers que l’individu entretient avec le monde social, la recherche biographique en éducation s’intéresse à son activité biographique, qui dépasse les traces écrites et orales des histoires de vie, puisqu’elle se définit comme une « attitude mentale et comportementale, […] une forme de compréhension et de structuration de l’expérience et de l’action, s’exerçant de façon constante dans la relation de l’homme avec son vécu et avec le monde qui l’environne » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », p. 253).
Un tel courant de recherche naît dans un contexte où les changements socio-économiques des sociétés modernes induisent une importance croissante accordée à l’activité biographique (voir ibid., p. 250). Il se situe dans le prolongement de l’approche biographique telle qu’elle avait pu être définie par Daniel Bertaux en 1976, puis critiquée par Pierre Bourdieu en 19863. Petit rappel des faits : en 1976, dans un rapport adressé au CORDES (Comité d’Organisation des Recherches appliquées sur le Développement Économique et Social), Daniel Bertaux préconisait le recours à la méthode biographique dans les sciences sociales, tout en refusant toute transparence entre le vécu et le récit du vécu. Comme Sartre qui avait critiqué avant lui l’idée qu’une « vie vécue [puisse] ressembler à une vie racontée4 », Bourdieu dénoncera en 1986, et ce malgré les précautions méthodologiques de Daniel Bertaux, l’« illusion biographique » d’une telle méthode :
Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’événements successifs sans autre lien que l’association à un « sujet » dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations5.
Tout en reprenant à son compte la critique bourdieusienne des histoires de vie, la recherche biographique en éducation critique moins l’illusion biographique qu’elle n’en étudie la richesse en la mettant en lien avec la « mise en intrigue » décrite par Ricœur dans Temps et récit (1983), et qui permet à l’existence humaine de prendre forme : « nous ne faisons pas le récit de notre vie parce que nous avons une histoire, nous avons une histoire parce que nous faisons le récit de notre vie » (Christine Delory-Momberger, « Biographie, Biographique, Biographisation », p. 47). C’est la raison pour laquelle la recherche biographique en éducation partage des liens forts (visibles dans la fusion avec l’ASIHVIF en 2008) avec le courant dit des « histoires de vie en formation », né à la fin des années 1970. Gaston Pineau, Jean-Louis Le Grand, Pierre Dominicé – pour ne citer que quelques noms de ces « chercheurs-formateurs6 » – entendent former des personnes en réorientation professionnelle ou en quête d’emploi en les intégrant étroitement à la formation : en composant leurs histoires de vie, les participantes et participants au groupe de formation « accède[raient] ainsi à une historicité [d’eux-mêmes] ouverte vers l’avenir et le changement7 ».
On soupçonne déjà à quel point la recherche biographique en éducation s’inspire de la sociologie pour s’en distancer. Quatre différences peuvent être esquissées :
1. Pour approcher l’individu en tant qu’être social singulier, la recherche biographique interroge le rapport que celui-ci entretient avec son environnement socio-politique, mais ce sont moins les déterminations sociales agissant sur lui qui l’intéressent que la manière dont « les individus deviennent des individus » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », p. 251) en intégrant de manière autoréférentielle le social, en formant « le monde intérieur du monde extérieur8 ».
2. La recherche biographique en éducation, qui met au centre de ses préoccupations le rapport existant entre l’individu et la temporalité de son existence, reproche par ailleurs à la sociologie d’avoir négligé la « temporalité biographique » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », p. 252). Une telle préoccupation justifie l’intérêt accordé dans ce champ de recherche aux théories de Paul Ricœur développées particulièrement dans Soi-même comme un autre (1990) : la recherche biographique en éducation reprend à Ricœur sa notion d’« identité narrative », introduite dans Temps et récit, puis développée dans Soi-même comme un autre, qui permet d’articuler la « mêmeté » (permanence de notre identité à travers le temps) et l’« ipséité » (perception unifiée que l’on a de soi). En effet, pour Ricœur, c’est la capacité des individus à produire une activité narrative constante dans laquelle ils peuvent se reconnaître qui permet seule de conjuguer l’idem et l’ipse. Surtout, Ricœur s’intéresse dans Soi-même comme un autre à la « refiguration » du temps par la narration, refiguration qui fait de la vie des individus le résultat des histoires, vraies ou inventées, qu’ils se racontent constamment.
3. Là où Daniel Bertaux entendait rendre compte des structures sociales à partir d’une comparaison des différents récits de vie accumulés, la biographie devient, dans la recherche biographique en éducation, l’objet d’une attention théorique et pratique en tant que telle, et non plus en tant qu’« instrument de collecte des structures de l’expérience » (Peter Altheit et Bettina Dausien, « Recherche biographique allemande », p. 248).
4. Enfin, si la recherche biographique en éducation considère que le fait biographique peut avantageusement être approché sous l’angle de la sociologie, elle considère qu’il a tout à gagner à faire l’objet d’une approche transdisciplinaire, puisqu’il s’agit de comprendre la formation de l’individu « dans ses dimensions tout à la fois anthropologiques et historiques, psychiques et sociales, physiques et symboliques, politiques et éducatives » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », p. 253).
L’approche littéraire des écrits de soi et la recherche biographique en éducation
Quelle est dès lors la place qu’occupe la littérature au sein de ce courant ? Pour la recherche biographique en éducation, l’approche littéraire permet d’étudier aussi bien « l’histoire des genres biographiques et des écritures de soi » que « leurs règles de constitution et de composition » (« Introduction », p. 9). Une telle approche, si elle est jugée utile, est cependant considérée comme largement insuffisante, puisqu’elle néglige de facto une approche multiréférentielle des écrits de soi. La recherche biographique en éducation semble, en effet, reprocher à la critique littéraire de se concentrer exclusivement sur la dimension narrative des écrits autobiographiques. C’est ce qu’indique l’analyse proposée par Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand, deux spécialistes du courant dit des « histoires de vie en formation », au sujet du Dictionnaire de l’autobiographie : écritures de soi de langue française dirigé par Françoise Simonet-Tenant :
[U]ne certaine focalisation sur cette dimension narrative produit une tendance forte, en particulier aux États-Unis, appelée « narrativisme » et qui se veut un point de vue postmoderniste privilégiant les dimensions d’échanges linguistiques (contrats, actes de langage, relations d’interlocution, le récit pris avant tout sinon exclusivement comme « texte »…). Un Dictionnaire de l’autobiographie couronne cette tendance (Simonet-Tenant [dir.], 2017)9.
C’est faire pourtant au Dictionnaire de l’autobiographie un faux procès, comme en témoigne la présence d’un article « Récit de vie », écrit par Christine Delory-Momberger, référence – on l’aura compris – dans le secteur français de la recherche biographique en éducation, présentant un parcours synthétique de l’approche biographique dans les sciences sociales, depuis le modèle de Wilhelm Dilthey jusqu’aux travaux du sociologue Jean-Claude Kaufmann, qui place les récits de vie au cœur de ses enquêtes sur le couple et l’organisation du ménage10.
Mais il est vrai que le dialogue entre les deux approches reste ardu. Sur les 150 entrées du Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, moins d’une dizaine sont communes à celles du Dictionnaire de l’autobiographie : « Autobiographie (littérature) » ; « Autofiction » ; « Récit de vie » ; « Roman de formation » ; « Correspondance » ; « Journal » ; « Photobiographie ». L’absence d’une entrée consacrée aux Mémoires est en ce sens frappante. S’il a été demandé aux auteures et auteurs de « concevoir leur entrée en considération de la visée générale du Vocabulaire dans le champ du biographique et de la recherche éducative » (« Introduction », p. 8), rares sont les notices plus spécifiquement littéraires qui parviennent à respecter cette consigne, à l’exception de celles consacrées à la photobiographie et au journal, dont on détaillera par conséquent quelque peu le propos.
La notice « Photobiographie », si elle rappelle, comme Magali Nachtergael avait pu le faire pour la notice du Dictionnaire de l’autobiographie11, les éléments historiques essentiels, notamment les différents manifestes de Gilles Mora, propose une véritable définition de ce type de récit de soi à l’aune de l’horizon d’attente de la recherche éducative : la photographie au sein de l’autobiographie crée une « épiphanie » (Henry James) qui produirait des « effets de connaissance chez le photographe et le spectateur ». Il y aurait donc des « potentialités autoformatives » au sein de la photobiographie : d’une part parce que le photographe fait l’expérience de la situation dans laquelle il se trouve ; d’autre part parce que le spectator (Roland Barthes) « actualise le rapport biographique » qu’il a avec cette même situation. Se dessineraient dès lors deux périodes de « biographisation » engendrant, comme autant d’« occasions d’apprentissage de soi », des « expériences de soi » (Christine Delory-Momberger, « Photobiographie », p. 372). L’approche éducative est aussi visible au sein de l’entrée « Journal » du Vocabulaire : là où, dans le Dictionnaire de l’autobiographie, Philippe Lejeune notait, en retraçant de l’histoire du journal de la fin du Moyen Âge jusqu’à nos jours, l’entrée au XVIIIe siècle du journal en pédagogie12, Remi Heiss fait reposer toute sa notice sur la pratique du journal dans le domaine de la formation, en insistant particulièrement sur l’ouvrage de Marc-Antoine Jullien, Essai sur l’emploi du temps13 (1808). Dans cet ouvrage pédagogique, ce dernier incitait les jeunes de 16 à 25 ans à approfondir leur formation en écrivant un « journal du corps » (écriture diaristique de la santé), un « journal de l’âme » (écriture diaristique des rencontres) et un « journal de l’esprit » (écriture diaristique des découvertes intellectuelles) (Remi Heiss, « Journal », p. 359). Heiss s’intéresse également à l’influence qu’ont pu avoir Janusz Korczak et Célestin Freinet dans l’écriture diaristique à l’école (voir ibid., p. 360). Ce qui intéresse la recherche biographique en éducation dans le genre du journal, c’est donc plus spécifiquement le « journal de formation », aussi qualifié de « journal de l’étudiant », de « journal d’investigation » et de « journal de recherche ». Soit dit en passant, une telle pratique diaristique est aujourd’hui inhérente à la recherche doctorale française : l’article 15 de l’arrêté du 25 mai 2016, qui fixe le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat, incite la doctorante ou le doctorant à l’écriture régulière d’un « portfolio » « comprenant la liste individualisée de toutes les activités du doctorant durant sa formation, incluant enseignement, diffusion de la culture scientifique ou transfert de technologie, et valorisant les compétences qu’il a développées pendant la préparation du doctorat14 ». Une telle pratique, encore peu appliquée – en grande partie par manque de temps (et d’envie) – montre bien l’incursion de la méthode biographique dans les études doctorales.
Si de telles notices peuvent apporter un regard nouveau sur des objets communs, leur rareté prouve la ténuité des connexions actuelles entre l’approche littéraire et celle de la recherche biographique sur les écrits de soi. En témoigne la présence d’une double notice consacrée à l’autobiographie : après une première entrée sur l’autobiographie en littérature, apparaît une notice dédiée à la même notion dans la recherche biographique, et définie dans ce cas comme le « codag[e] du moi » (Peter Alheit, « Autobiographie (recherche biographique) », p. 32) 15. Cette ténuité est surtout due au fait que les écritures de soi – et parmi elles, celles susceptibles d’atteindre une forme de littérarité – ne constituent au regard de la recherche biographique en éducation qu’une forme parmi d’autres de l’expression biographique. Cette mince place accordée à l’écrit littéraire peut avoir ses avantages : elle nous rappelle à nous, chercheuses et chercheurs en littérature, l’intérêt des écritures ordinaires – intérêt déjà relevé par le Dictionnaire de l’autobiographie16. L’article écrit par Servanne Monjour sur les « Pratiques numériques (blogs, forums, réseaux sociaux) » (p. 438-440) est en cela particulièrement éclairant, et l’on pourrait imaginer un prolongement de la recherche initiée par Philippe Lejeune dans « Cher écran…17 » (2000) au podcast, forme imprégnée s’il en est par la parole autobiographique – que l’on pense à l’émission « Les Pieds sur terre » de Sonia Kronlund sur France Culture, inspirée par l’émission américaine « The American Life », ou encore au podcast « Transfert » de Charlotte Pudlowski pour Slate. En outre, la recherche biographique en éducation, par l’importance qu’elle accorde à l’herméneutique de Ricœur, apporte son grain à moudre au débat sur la référence autobiographique : à l’inverse de Philippe Lejeune, Damien Zanone (1996), Thomas Clerc (2002), Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone (1997) 18, l’approche biographique en éducation considère comme peu pertinent le critère de vérité propre à l’autobiographie : puisque l’écriture subjective est une herméneutique de soi au sein de laquelle la fiction a son utilité, en tant qu’elle participe à la création de l’ipséité, la vérité dans l’autobiographique se voit en effet considérablement relativisée19.
On peut repérer trois grandes zones de résistance au rapprochement de la recherche biographique en éducation et de l’approche littéraire des écrits de soi :
1. Si la recherche biographique a tendance à réduire l’approche littéraire des écrits de soi à un narrativisme étriqué, une étude formelle du biographique, peu importe le medium utilisé, demeure essentielle, car c’est par la forme que l’individu donne à son discours qu’il inscrit son expérience dans l’espace social.
2. En outre, puisque la recherche biographique en éducation refuse de limiter le biographique au seul point de vue rétrospectif, elle nie toute distinction entre auteur, narrateur et personnage. Or on pourrait opposer à ce point de vue la remarque de Maxime Decout : « [Mais] le même est un leurre fragile puisque l’autobiographie résulte d’une perception subjective de soi par soi dans un récit rétrospectif. Voilà ce qui sépare l’auteur, le narrateur et le personnage, et fait de l’autobiographie non seulement un récit de soi par soi mais aussi un récit de soi-même comme un autre et par un autre20. »
3. Enfin, les chercheuses et chercheurs en littérature peuvent éprouver un certain malaise à l’égard du versant éthique de la recherche biographique. En effet, cette dernière considère la parole autobiographique comme « le vecteur par lequel les êtres humains accèdent à un savoir et à un pouvoir d’eux-mêmes qui les mettent en capacité de se développer et d’agir en tant que “sujets” au milieu des autres et au sein de la cité » (Christine Delory-Momberger, « Recherche biographique en éducation », p. 255). Si une telle approche peut être utile dans le cas des écritures traumatiques – l’écriture comme lieu d’une possible reconstruction –, il convient de la nuancer : le pouvoir de l’écriture a en effet ses limites. En outre, une telle valorisation de la potentialité émancipatrice du biographique ne peut, dans le cas de la littérature, que favoriser dangereusement des considérations psychologisantes assez mal venues.
Reste que, malgré les obstacles à l’application de l’approche biographique en éducation aux textes littéraires, ce secteur de recherche a l’avantage non négligeable de nous rappeler l’importance d’un dialogue avec les sciences sociales sur la question des écrits de soi, dialogue au cœur de la méthodologie du programme de recherche « Écrits de soi » (Sorbonne Université – CELLF XVIe-XXIe s.).
- 1. Comme le précise la page de présentation du CIRBE, le terme d’« éducation » doit être entendu dans un sens très large, puisqu’il désigne « toutes les formes de l’expérience formative et éducative : dimension globale du développement individuel dans l’espace familial et social ; scolarisation et formation dans les institutions d’enseignement (école, collège, lycée, université) ; expériences de formation et d’apprentissage rencontrées dans l’activité professionnelle et dans la vie sociale en général ; environnements et médiations socioculturels (médias, télévision, Internet, etc.) ; expériences biographiques, heureuses ou malheureuses, vécues dans les circonstances singulières et, en particulier, dans les épreuves de la vie (maladie, précarisations psychiques et sociales) » (URL : http://www.lesujetdanslacite.com/1/le_cirbe_835345.html, page consultée le 13 août 2020).
- 2. Jean-Paul Sartre, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. 1, Paris, Gallimard, 1971, p. 7.
- 3. Daniel Bertaux, Histoires de vie ou récits de pratiques ? Méthodologie de l’approche biographique en sociologie, Rapport au CORDES, 1976 ; Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, nos 62-63, 1986, p. 69-72.
- 4. Jean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Paris, Gallimard, 1983, p. 105-106.
- 5. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », art. cité, p. 71.
- 6. Christine Delory-Momberger, « Récit de vie », Dictionnaire de l’autobiographie. Écritures de soi en langue française, dir. Françoise Simonet-Tenant, Paris, Honoré Champion, 2018, p. 667.
- 7. Ibid., p. 668.
- 8. Peter Alheit et Bettina Dausien, « Die biographische Konstruktion der Wirchklichkeit. Überlegungen zur Biographicität des Sozialen », Biographische Sozialisation, Stuttgart, Lucius et Lucius, 2000, p. 276, cité dans l’article Christine « Biographisation » du Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique par Delory-Momberger (p. 49).
- 9. Gaston Pineau et Jean-Louis Le Grand, « Des pratiques multiformes », Les Histoires de vie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2019, p. 19.
- 10. Voir Christine Delory-Momberger, « Récit de vie », Dictionnaire de l’autobiographie, op. cit., p. 666-667.
- 11. Magali Nachtergael, « Photobiographie », ibid., p. 612.
- 12. « Parents et éducateurs tiennent maintenant des journaux de l’éducation des enfants, et surtout incitent les filles, dès leur première communion, à tenir un journal pour améliorer leur moralité et leur style […] » (Philippe Lejeune, « Journal personnel », Dictionnaire de l’autobiographie, op. cit., p. 458).
- 13. Marc-Antoine Jullien, Essai sur l’emploi du temps, Paris, Anthropos, 2006 [1808].
- 14. L’arrêté législatif est disponible en ligne sur le site de Panthéon Sorbonne. URL : https://www.pantheonsorbonne.fr/ecoles-doctorales/edds/textes-juridiques/, consulté le 14 août 2020.
- 15. Peter Alheit cite ici Andreas Reckwitz, Das hybride Subjekt. Eine Theorie der Subjektkulturen von der bürgerlichen Moderne zur Postmoderne, Weilerswist, Velbrück Wissenschaft, 2006.
- 16. « Ce dictionnaire ne se limite pas aux seuls corpus consacrés mais s’intéresse également aux auteurs méconnus voire au champ des écritures ordinaires ; il paraît en effet bienvenu de bousculer une vulgate promue par l’institution scolaire et universitaire, canon menacé de sclérose au fil des manuels » (Françoise Simonet-Tenant, « Introduction », Dictionnaire de l’autobiographie, op. cit., p. 10).
- 17. Philippe Lejeune, « Cher écran… ». Journal personnel, ordinateur, internet, Paris, Seuil, 2000.
- 18. Damien Zanone, L’Autobiographie, Paris, Ellipse, 1996 ; Thomas Clerc, Les Écrits personnels, Paris, Hachette, 2002 ; Jacques Lecarme et Éliane Lecarme-Tabone, L’Autobiographie, Paris, Armand Colin, 1997. Sur cette question, voir Véronique Montémont, « L’autobiographie », Dictionnaire de l’autobiographie : écritures de soi en langue française, op. cit., p. 78-79.
- 19. Sur cette question, voir Sylvie Jouanny, « Ricœur, Paul », p. 684 et Peter Alheit, « Autobiographie (recherche biographique) », p. 438-440.
- 20. Maxime Decout, « Identité », Dictionnaire de l’autobiographie, op. cit., p. 437.