Se raconter sans se trahir : l'autonarration à l'écrit et à l'écran
Résumé
Le cinéma s’est, dès ses origines, heurté à la question du réel. La caméra, en tant que machine à enregistrer, s’est présentée comme une opportunité pour retranscrire une forme de vérité, épurée de tous les différents filtres qui faisaient obstacle à la représentation des « choses telles qu’elles sont ». Pourtant, l’image filmée, comme tout énoncé linguistique, ne peut échapper aux multiples trahisons de la vérité qui ne peuvent faire d’elle qu’une construction, même dans son dispositif le plus élémentaire. Outre la question du réel et son axe véritatif, le cinéma n’a jamais cessé de se confronter à de nouvelles trahisons : la trahison de classe (les frères Lumière), la trahison de genre (le male gaze), la trahison politique (Godard) et la trahison spectatorielle. Faisant état de l’ensemble de ces trahisons, cette thèse s’interroge sur les formes de l’autonarration dans ses allers-retours de l’écran à l’écrit et les multiples avatars du moi. Comment se raconter sans se trahir, du moins le moins possible ? Le documentaire est-il plus fidèle au réel que la fiction ? Faut-il dire « je » pour se raconter ? Que devient « je » une fois à l’écran ? Quelle est la valeur d’un « je » féminin face à un « je » masculin ? S’écrit-on plus sincèrement qu’on ne se filme ? L’auto-incarnation à l’écran est-elle gage de vérité ? Afin d’apporter des pistes de réponses, cette thèse propose une exploration transmédiale d’œuvres d’auteur·ices qui n’ont cessé de placer l’enjeu biographique au cœur de leur travail : Cyril Collard, d’abord, qui s’est écrit, filmé, chanté, a fait sacrifice de sa chair à l’écran jusqu’à sa mort médiatique ; Eva Ionesco ensuite, qui s’est d’abord filmée avant de s’écrire, faisant du trauma de l’enfance le point de départ narratif de l’ensemble de son œuvre ; et Julie Maroh à qui nous réservons un traitement particulier puisque la dimension autofictionnelle de ses romans graphiques n’a jamais été clairement revendiquée. Néanmoins, Maroh, dans sa pratique d’autrice-illustratrice se situe dans un entre-deux-mondes, où le roman porte en lui la marque d’une volonté cinématographique. Nous démontrerons que le roman graphique, en tant que scénarimage, constitue une forme de propédeutique à la pratique cinématographique. Et qu’il peut être le lieu d’une expression sincère affranchie des contraintes tant de la défaillance des langues que de la trahison filmique.
Abstract
From its inception, cinema has come up against the question of reality. The camera, as a recording machine, presented itself as an opportunity to transcribe a form of truth, stripped of all the different filters that hindered the representation of "things as they are". However, the filmed image, like any linguistic statement, cannot escape the multiple betrayals of the truth which can only make it a construction, even in its most elementary device. In addition to the question of reality and its real axis, cinema has never ceased to face new betrayals: class betrayal (Lumière brothers), gender betrayal (male gaze), political betrayal (Godard ) and spectator betrayal. Taking stock of all of these betrayals, this thesis questions the forms of self-storytelling in its back and forth from the screen to the written word and the multiple avatars of the ego. How can you tell your story without betraying yourself? Is documentary more faithful to reality than fiction? Do you have to say "I" to tell yourself? What happens to "I" once on the screen? What is the value of a female "I" compared to a male "I"? Do we write to ourselves more sincerely than we film ourselves? Is Self-Incarnation on Screen True? In order to provide avenues for answers, this thesis proposes a transmedial exploration of works by authorship that place the biographical issue at the heart of their work: Cyril Collard, first of all, who has written, filmed et sung himself, sacrificed its flesh on screen until its death; Eva Ionesco then, who first filmed herself before writing, making childhood trauma the narrative point of departure for all of her work; and Julie Maroh, to whom we reserve different treatment since the autofictional dimension of her graphic novels has never been clearly claimed. Nonetheless, Maroh, as an illustrator, finds herself in a middle ground, where the novel bears within it the mark of a cinematic will. We will demonstrate that the graphic novel, as a storyboard, constitutes a form of propaedeutic to cinematographic practice. And that it can be the place of a sincere expression freed from the constraints of both language failure and filmic betrayal.
Jury
Geneviève Fraisse, Directrice émérite au CNRS
Frédérique Toudoire-Surlapierre, Université de Mulhouse
Iris Brey, journaliste, critique, et chercheuse indépendante
Marie-Anne Paveau, Université Sorbonne Paris Nord - Paris 13
Geneviève Sellier, Université de Bordeaux 3