Les souvenirs de la détresse. L’écriture de l’affectivité dans quelques Mémoires français du XVIIe siècle
Résumé
En rédigeant des récits rétrospectifs sur leurs vies, les mémorialistes du XVIIe siècle prétendent davantage rendre compte de leur vie publique et des événements historiques que de témoigner sur leur vie privée, sur leur intériorité et sur les aspects de leur personnalité. Peut-on dès lors dire dans les Mémoires ce qui fait mal ? Quelles sont les modalités scripturales de l’expression de l’émotion ? Quels effets narratifs un tel récit a-t-il sur la composition générale de l’oeuvre ? Cette thèse s’interroge sur l’écriture de l’affectivité dans un contexte de la tradition mémorielle du XVIIe siècle dont le discours sur l’émotion fait l’objet d’un double contrôle. D’une part, les interventions éditoriales posthumes des Mémoires, informées par une vision historiographique du genre, modifient les textes originaux pour qu’ils paraissent moins personnels et moins partiaux en vue de contribuer à l’Histoire. D’autre part, l’écriture des Mémoires se réalise dans un contexte social et culturel qui veut que le discours émotionnel, aussi bien écrit que parlé, soit soumis à un régime de la modération des émotions et à une autocensure quand il s’agit de parler de soi. L’écriture de l’émotion dans les Mémoires doit dès lors être comprise dans ses conditions culturelles de production en tant que dépendante d’une situation sociale spécifique du mémorialiste. L’expression du désarroi est le produit d’une incessante négociation entre le silence et la parole, entre le dicible et l’indicible, entre ce qu’il convient de dire et ce qu’il convient de taire. C’est ce point de tension qui apparaît dans les récits de l’expérience personnelle des auteurs entre l’expression de l’émotion ressentie par les narrateurs à la première personne, d’une part, et l’effort pour atténuer leur sensibilité dans le geste de l’écriture, d’autre part, qui fait le noyau principal de cette recherche.
Abstract
One of the most significant characteristics of the seventeenth century French Memoirs is their proximity to the historiographical practice. Rather than being accounts of the author’s inwardness, or stories about the evolution of their personality and private life, Memoirs are narratives whose main focus is witnessing historical events. These texts showcase author’s public life, career and participation in political events. However, it is not rare for these authors to personally witness bloodshed, the horrors of war, rejection, exile, injustice or grief, and remembering those experiences does not seem to leave them indifferent. Is it possible for these historical narratives to express emotional distress, pain and trauma, given that the personal discourse in Memoirs is often subjected to layers of censorship? This dissertation examines the expression of affectivity in the specific context of seventeenth-century memorial tradition in which the emotional discourse is subdued by two main types of control and regulation. On the one hand, editors profoundly modify original texts so that they seem less personal and, hence, less partial, subsequently increasing their status as credible historical sources. On the other hand, the practice of Memoir writing is taking place in a social and cultural context which is hostile to the uninhibited emotional discourse and self-expression.The expression of emotional distress is a result of a continuous dialogue between silence and the written word, between what can and cannot be expressed, between what is appropriate to say and what is appropriate to stay silent about.We studied discourses and narrative practices which allow authors to witness about their emotional distress and to express, voluntarily or involuntarily, what they feel. We insisted on the discourses which elude both social control and editorial interventions; in other words, parts of the Memoirs where affectivity is expressed despite all odds.
Jury
Geneviève Haroche-Bouzinac, professeure, université d’Orléans
Jean Garapon, professeur, Université de Nantes
Damien Zanone, professeur, Paris-Est Créteil
Emmanuelle Lesne-Jaffro, MCF, université de Clermont-Ferrand
Gaël Rideau, professeur d’Histoire, université d’Orléans