Les écritures de soi des civils non-combattants de la guerre franco-allemande (1870-1914)
Résumé
Le sujet de recherche : « Être en guerre : l'expérience des civils au miroir du journal intime (1870-1873) » repose sur une approche pluridisciplinaire qui croise l'histoire du conflit franco-allemand dans ses dimensions sociales et culturelles d'une part et, d'autre part, l'histoire des textes, puisqu'il s'agit de saisir les modalités de l'écriture de soi en temps de guerre à travers un corpus de journaux intimes manuscrits et imprimés produits pendant le conflit. Un tel sujet a pour ambition de mieux saisir les formes de l'expérience de guerre traversée par des hommes et par des femmes qui, sans être directement impliqués dans les combats, étaient bel et bien en guerre, parce que leur ville ou leur village furent envahis puis occupés par les armées allemandes, ou parce que, à l'abri de l'invasion, ils en observaient parfois de très près les ravages et ont cherché à en garder une trace écrite. Il s'agit, par conséquent, de renouveler l'approche historique de ce conflit en déplaçant le regard du côté des civils et des formes de l'écriture à la première personne en temps de guerre, puis pendant l'occupation allemande. Une telle approche constitue, à l'heure actuelle, un angle mort de la recherche historique sur le conflit de 1870-1871, elle-même en retrait par rapport aux renouvellements de l'historiographie de la Première Guerre mondiale depuis plus de vingt ans (inauguration de l'Historial de la Grande Guerre de Péronne dans la Somme en 1992). À cet égard, les travaux qui ont porté sur l'expérience des civils occupés et sur les comportements collectifs à l'intérieur des « fronts intérieurs » entre 1914 et 1918 ont connu de notables avancées (Annette Becker, Helen McPhail, Laurence Van Ypersele, Philippe Nivet notamment) qui rendent d'autant plus nécessaire une meilleure connaissance des expériences civiles pendant la guerre de 1870-1871, l'enjeu étant de mieux comprendre les spécificités de cet épisode guerrier en lui restituant sa singularité propre. À l'heure actuelle, quelques travaux, centrés sur les modalités de l'occupation étrangère et les adaptations trouvées par les populations civiles sont en cours (Guillaume Parisot, Inès Ben Slama). Mais aucun n'est consacré aux journaux intimes écrits par des civils pendant le temps de la guerre. Du côté de l'histoire des textes, l'écriture intime des civils pendant la guerre de 1870-1871 constitue également un point aveugle de la recherche. Les travaux de Philippe Lejeune sur le journal intime, tout particulièrement au XIXe siècle, ont largement ouvert la voie avec des outils aussi efficients que la notion de « pacte autobiographique », mais, pour l'heure, ils n'ont pas conduit à examiner ou à réexaminer le conflit de 1870-1871 à travers ces textes. L'enjeu du sujet que nous proposons est donc double : mieux connaître l'expérience des civils confrontés à l'événement guerrier en 1870-1871 et questionner la prise de conscience de l'être intime dans l'écriture. Il existe, pour mener à bien un tel sujet, un vaste corpus de journaux intimes de civils rédigés pendant la guerre qui sont restés à l'état de manuscrits ou bien ont été publiés peu de temps après, ou, au plus tard, dans la première décennie du XXe siècle. Quarante-cinq journaux écrits depuis la Franche-Comté, la Côte-d'Or, Paris, le Vaucluse, le Rhône, la Marne, la Somme, le Bas-Rhin, l'Eure-et-Loir, la Meuse et le Loiret constituent d'ores et déjà une masse textuelle accessible qui permettra au chercheur d'interroger, à partir de situations très variées et socialement différenciées, l'écriture des civils en temps de guerre. À l'horizon de cette recherche est attendue une connaissance renouvelée d'un conflit majeur de la fin du XIXe siècle et des formes de son récit.