Le statut de témoignage dans l’œuvre de Jean Rouaud
Résumé
De nombreuses études ont tenté de définir les formes d’écritures relatives à l’expérience du soi face aux atrocités de la guerre. En revanche, la recherche testimoniale et littéraire ignore l’idée inverse : comment témoigner d’une guerre que l’on n’a pas vécue ? Cette question non investie jusqu’à présent soulève aujourd’hui des enjeux éthiques et politiques importants. L’occultation de la guerre menée par le monde occidental est essentielle pour la compréhension de la situation politique dont témoignent de nombreux auteurs contemporains. Au cœur de leurs récits de guerre, des écrivains contemporains tels que Jean Rouaud, Jean-Yves Jouannais, Laurent Mauvignier et François Bon livrent des témoignages sur des guerres auxquelles ils n’ont pas pris part. Ils le font à la première personne et au présent, tout en entrant dans les moindres détails des faits racontés. Ces écrivains attestent d’événements relatifs aux guerres passées comme aux conflits actuels. Ces témoignages ne s’appuient exclusivement ni sur la littérature scientifique ou professionnelle ni sur les récits partagés par des témoins directs de la guerre. Ainsi, le fait que ces auteurs n’aient pas assisté à la guerre leur permet de livrer des témoignages pionniers sur les situations actuelles de conflit comme sur les guerres historiques. Pour répondre à cette question de recherche, cette thèse analyse le statut du témoignage dans l’œuvre de Jean Rouaud, écrivain pionnier de cette tendance littéraire, et en retrace l’évolution.
Abstract
The present thesis defines a new model of testimony written by contemporary authors who were not physically present in the conflicts their writings describe in first-person narrative and the present tense. This literary corpus constitutes a watershed in the history of modern testimonial literature, which ascribes absolute authority as war witnesses to ‘the men who were there’ in the conflict zone during the war. Using first-person narratives, intimate language, and detailed writing, contemporary writers such as Jean Rouaud, Pierre Bergounioux, François Bon, Jean-Yves Jouannais, Pierre Michon, and Annie Ernaux witness events from the two world wars and from current conflict zones. They do not provide testimonies from a perspective external to war; they do not base their writings on scientific or professional literature nor rely on survivors’ ‘first-hand testimonies’. Further, in their writings, traveling to distant conflict zones is not a prerequisite to become an eyewitness to the injustices that occur there. Instead, for these writers, the intergenerational consequences of the world wars and the involvement of France in conflicts around the world make them witnesses of those conflicts. The fact that these authors never participated directly in a war constitutes a new approach to the ‘eyewitness’ that is valuable for understanding contemporary reality. In an attempt to trace the nature of this tendency in its literary, ethical, and political aspects, the present study is devoted to a lateral reading of the corpus of Jean Rouaud, the pioneering and leading writer of this tendency.