La scène dans l'œuvre romanesque et autobiographique de Marguerite Yourcenar.
Résumé
Depuis le milieu du XXe siècle, et sous l'impulsion des narratologues structuralistes et post-structuralistes, les traits définitoires de la « scène » semblaient a priori stabilisés. Enfonçant les frontières du genre théâtral, la notion rend compte de l'une des structures du tempo narratif, s'opposant dès lors traditionnellement à la « pause » et au « sommaire ». Mais depuis le début des années 2000 et sous l'influence des promoteurs de la critique des dispositifs (Lojkine, Ortel, Rykner), la scène questionne à nouveau les modalités mimétiques du récit et suscite finalement un renouveau de ses contours définitoires : la scène s'envisage non plus comme structure, mais bien comme dispositif de représentation ; elle fonde dans le récit un espace-temps autonome, efficace et opératoire, processus capable d'orchestrer ses effets sous et pour le regard d'un tiers. La scène innerve également de nouveaux questionnements concernant l'étude stylistique du récit. Entretenant des liens évidents avec l'image, l'analyse de ses modalités (fréquence, impact sur le tempo narratif, rituels d'entrée et de sortie) montre que la scène constitue un entre-deux lieux de la littérature. Elle réfléchit en effet, de façon spéculaire, les capacités de picturalité d'une écriture et questionne le travail de composition des écrivains. À l'aune de ces nouvelles pistes d'étude, les romans et autobiographies de Marguerite Yourcenar interrogent de façon remarquable la notion de scène. D'un seuil à l'autre de l'œuvre narrative de l'académicienne, l'analyse révèle que de nombreux moments scéniques s'offrent en effet comme le surgissement soudain de la beauté du monde, manifestation du monde dans son plus pur apparaître, véritable épiphanie où le temps humain paraît s'abolir. Certaines séquences narratives opèrent également un effet de redoublement voire de mise en abyme propre à la scène : les personnages, qu'ils soient narrateurs ou non, se trouvent bien souvent placés en position de spectateurs, assistant et décrivant de nombreuses scènes, qu'elles soient scènes peintes, théâtrales ou musicales. Cette thèse analyse comment le récit yourcenarien, ménageant un nouvel espace-temps arraché au flux narratif, réservant des instants propices à la révélation du Beau au sens kantien du terme, interroge de façon renouvelée le statut et la valeur de la scène narrative.
Abstract
Since the beginning of the 20th century, under the impulse of structuralist and post-structuralist narratology specialists, the defining characteristics of the scene had seemed stable for good. Breaking through the drama genre, the concept accounts for one of the structures of the narrative rhythm, thus opposings to the pause (mere description) and summary. But since the early 2000's and under the influence of the pioneers of the critique des dispositifs (device critics) (Lojkine, Rykner, Ortel), the scene questions again the mimetic ways of the narrative and eventually generates a renewal of the defining outlines. The scene is no longer considered as a structure but as a representing device in itself. It creates, in the story, an autonomous space time, efficient and operating, a process capable of orchestrating its effects under and for the eye of a third party. The scene also arouses questioning about the stylistic study of the narrative. Closely associated with the picture, the analysis of its methods (frequency, impact on the narrative tempo, entry and leaving rituals) shows that the scene constitutes an in between in literature. Indeed, it reflects, mirror like, the pictural capacities of writing and the composing work of writers. In the light of those new studies, Yourcenar's novels and autobiographies remarkably question the concept of scene. Throughout her narrative work, the analysis reveals that a lot of scenic moments give themselves as the sudden emergence of the beauty of the world, the world's display in its purest appearance, genuine epiphany where human time seems abolished. Indeed, some narrative sequences operate as a repetition and even an ekphrasis specific to the scene : the characters, whether they are narrators or not, really find themselves in the position of spectators, attending or describing numerous scenes, whether painted, dramatic or musical. This thesis analyses how the yourcenarian narrative creating a new space time independent from the narrative flow, creating space for the arising of the Beautiful in the Kantian acceptance of the word questions in a renewed way the status and the value of the narrative scene.
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