La chair ou le verbe : Doubrovsky et la dialectique de l’autofiction
Résumé
La parution des 2599 feuillets du Monstre, aux éditions Grasset, en septembre 2014, a ouvert un champ quasi infini de recherches sur l’œuvre doubrovskienne, et au-delà, autour des « écritures de soi » à l’ère de l’autofiction. Et c’est donc ce champ que nous nous proposons de défricher à partir de la thèse suivante, soutenue dès le premier chapitre [« la dialectique de l’anti-héros »] : la vie et l’œuvre de Serge Doubrovsky sont portées, guidées, dirigées par un même mouvement, une même dynamique souterraine, Sartre dirait un même « projet existentiel », auquel rien n’échappe, aucun sentiment, aucune action, aucun mot, aucune pensée, et que nous identifierons très précisément au « vel de l’aliénation » lacanien. À partir de là, ce sont les problématiques chères aux études autobiographiques et autofictionnelles qui seront traitées à nouveaux frais (du moins espérons-le…) : c’est la question de l’inscription de son nom propre dans une fiction [« l’être ou le non-être »] ; celle de la création de sa langue maternelle [« Elle(s) ou moi »] : de la connaissance de son désir [« la cure ou l’écriture »] : de l’écriture du « réel » [« l’autobiographie ou la fiction »] ; de l’écriture de soi proprement dit [« la chair au le verbe »] ; ou encore de la lecture de l’Autre [« l’écriture de soi ou la lecture de l’autre »]. Autant de dualités, certes, très différentes, mais à partir desquelles se rejoue, d’un bout à l’autre de l’œuvre – c’est en tout cas notre (hypo)thèse – cette même tragédie existentielle d’un désir impossible à satisfaire et dont nous nous efforcerons de décrire le mouvement de vacillation interminable, avec ses passages obligés, ses tentatives de bifurcation, ses chausse-trappes et, au final, son immense immobilité.
Abstract
The Monster, published by Grasset in September 2014, has, with its 2599 pages, opened up a vast new field of research into Doubrovskian literary work, and, by extension, into self-writing and life-writing in the era of autofiction. This is the field we have thus undertaken to explore, with a thesis supported right from the very first chapter (“The Dialectic of the Anti-Hero”) as a starting point: the life and works of Serge Doubrovsky are borne along by one movement, one hidden dynamic, or, as Sar-tre would say, one “existential project” that can be totally identified with Lacan’s “vel of alienation”. A vel from which nothing escapes: no feeling, no action, no thought, no desire that is not inwardly op-posed to its most intense, most profound contradiction; not even one word, as writing is also caught up between antidote and poison, life and death. Henceforth, all questions pertaining to autobiograph-ical studies are dealt with differently: that of putting one’s own name in a novel (“being or name-being”); of inventing one’s mother tongue (“She or me”); of controlling the meaning of one’s story (“psychoanalysis or writing”); of writing about “reality” (“autobiography or autofiction”); of one’s writ-ing about oneself (“flesh or word”); and finally of reading others (“writing or reading”). From these dis-similar dualities – according to our (hypo)thesis, at least – stems an existential and scriptural tragedy, ever-present throughout the work, of a desire to be oneself which cannot be fulfilled, causing endless vacillation which we shall endeavor to describe, along with its inevitable phases, its attempts to change course, its pitfalls and, ultimately, its immense immobility…
Jury
Claude Burgelin, professeur, Université Lumière Lyon 2
Isabelle Grell, professeure, Université de Caen Normandie
Jean-Louis Jeannelle, professeur, Sorbonne Université