L’Âge d’homme (Éditions)
La maison d’édition L’Âge d’Homme a été fondée le 8 novembre 1966 par Vladimir Dimitrijevic (1934-2011) à Lausanne. Quelques mois auparavant, il en avait eu le projet avec ses amis Pierre Roemer et Edmond Bertholet qui participèrent au début de l’entreprise. Dominique de Roux (le créateur des Cahiers de l’Herne) les avait assurés de son soutien. Au départ, trois collections devaient servir d’assise à la maison d’édition : l’une purement littéraire, l’autre orientée dans le domaine des sciences humaines et la troisième consacrée aux littératures des pays de l’Est. Le choix de cette dernière, qui s’avérera déterminante dans le développement de la maison d’édition, n’est pas accidentel. Il est à mettre en relation avec le parcours biographique de Vladimir Dimitrijevic.
Celui-ci, né en 1929 à Skopje (Serbie), passe, à partir de 1939, sa jeunesse à Belgrade. Il a deux passions qui lui servent d’exutoire : le football et la littérature, en particulier celle des poètes romantiques serbes ou d’auteurs traduits du russe comme Pouchkine, Lermontov. Sur les conseils de son père, en 1954, muni de faux papiers, il s’exile afin d’échapper au régime de Tito et arrive en Suisse où, tout en apprenant le français, il vit d’expédients divers, pour finalement trouver un emploi en librairie, d’abord à Neuchâtel chez Delachaux et Niestlé (1958), puis à Lausanne chez Payot (1962). Dès lors, il ne quittera plus le milieu des livres. Dans sa démarche éditoriale, Vladimir Dimitrijevic s’est toujours voulu un passeur, au sens où il était attaché à faire découvrir aux lecteurs des œuvres qui leur étaient inconnues et pour lesquelles il était enthousiaste. Ce sera le cas des auteurs qui l’avaient passionné dans sa jeunesse. En outre, il a toujours été très attentif au catalogue des maisons d’éditions françaises, avec comme souci principal d’en combler les lacunes.
Ainsi, de manière emblématique, ce sont des œuvres d’auteurs suisses romands (Charles-Ferdinand Ramuz avec Aimé Pache, peintre vaudois, Charles-Albert Cingria avec Impressions d’un passant à Lausanne) qui constituent les premiers titres du catalogue. Plus tard, en 1978, c’est également la création de la collection Poche suisse qui contribuera à faire connaître le patrimoine helvétique, une collection où l’on trouve aussi bien des textes de Rousseau, de Rodolphe Töpffer, que d’Eugène Rambert ou de Charles-Ferdinand Ramuz, pour ne citer que quelques noms. Enfin, la collection des Classiques slaves – qui compte aujourd’hui plus de 500 titres – aura pour vocation de révéler aux lecteurs francophones de nombreux auteurs jusqu’alors inconnus ou méconnus, soit qu’ils n’étaient pas traduits, soit qu’ils l’étaient mal. Puis, d’autres collections suivront, consacrées à d’autres littératures (italienne, allemande, anglaise, etc.) ainsi qu’à d’autres sujets, comme par exemple le cinéma, la philosophie, le théâtre ou encore la spiritualité.
Vladimir Dimitrijevic voulait d’un auteur qu’il soit fidèle à lui-même, en dépit des modes et des courants, et qu’il s’engage sans ménagement dans son entreprise d’écrivain, au point que, peu à peu, les livres en arrivent à former un tout organique. Ces exigences relatives aux auteurs étaient également les siennes en tant qu’éditeur : être cohérent dans le choix de ses projets, fidèle à soi-même et les réaliser, quand bien même ils pouvaient paraître improbables. C’est d’abord un intérêt littéraire qui animait ses démarches et qui l’a conduit à relever de véritables défis éditoriaux, voués à l’échec sur le plan commercial. En témoigne la place accordée à l’écriture personnelle dans le catalogue de L’Âge d’Homme, qu’elle soit diariste, autobiographique ou épistolaire. L’exemple le plus patent est assurément le Journal intime d’Henri-Frédéric Amiel publié dans son intégralité en douze volumes. Vladimir Dimitrijevic avait à cœur de mener ce projet d’édition à son terme, car l’œuvre d’Amiel lui avait permis de mieux comprendre la réalité helvétique, en particulier la singularité de la Suisse romande. En outre, l’engagement total du diariste genevois dans son écriture, au point que celle-ci en absorbe sa propre vie, correspondait en tout point à l’image de l’écrivain – quel qu’il soit – que se faisait le directeur de L’Âge d’homme. Engagement dans l’œuvre, dans l’écriture, avec de surcroît une volonté affichée de sincérité, c’est également ce qui caractérise Marie Bashkirtseff dont le journal figure au catalogue de la maison lausannoise. Ce sont aussi ces qualités-là que nomme Vladimir Dimitrijevic quand il évoque l’œuvre de Georges Haldas, qu’il s’agisse de l’ensemble des carnets qui forment L’État de poésie (dix-huit volumes) ou, d’une manière plus purement autobiographique, les sept volumes qui constituent La Confession d’une graine ; une œuvre toute de vérité et de cohérence parce qu’elle obéit à une visée poétique d’ensemble. Parmi les projets audacieux qui ont été réalisés, il convient aussi de mentionner le Journal inédit de Léon Bloy (quatre volumes).
Enfin, la littérature épistolaire n’est pas en reste dans le catalogue de la maison d’édition, entre autres grâce à la Correspondance générale d’Octabe Mirbeau (trois volumes) ou encore à celles de Charles-Albert Cingria : cinq volumes d’une Correspondance générale dans un premier temps et, plus tard, deux volumes de Nouvelles correspondances ; il importe de dire à quel point Cingria comptait pour Dimitrijevic. L’écriture de l’auteur musicien genevois était selon lui l’expression d’une voix singulière qui porte la littérature. La publication de ses œuvres complètes, à deux reprises, témoigne de cet intérêt.
Aujourd’hui, la maison d’édition L’Âge d’Homme compte plus de 4 000 titres à son catalogue. Andonia Dimitrijevic-Borel en assure la direction. Elle conserve dans sa démarche éditoriale l’esprit qui avait animé son père, à savoir privilégier l’ouverture, l’innovation et l’anticonformisme, tout en apportant un nouveau souffle à la maison, notamment grâce à la création de nouvelles collections.
Bibliographie
Vladimir Dimitrijevic, Personne déplacée, entretiens avec Jean-Louis Kuffer, Lausanne, Pierre-Marcel Favre, 1986 (L’Âge d’homme, coll. « Poche suisse », 2008).
https://www.letemps.ch/culture/vladimir-dimitrijevic-savait-maitriser-temps
Queloz Jean-Jacques, « L’Âge d’homme (Éditions) », dans Dictionnaire de l’autobiographie, dir. F. Simonet-Tenant, avec la collab. de M. Braud, J.-L. Jeannelle, P. Lejeune et V. Montémont, Paris, Champion, 2017, p. , en ligne, URL : https://ecrisoi.univ-rouen.fr/dictionnaire/lage-dhomme-editions, page consultée le 22/11/2024.