Radiographie d'une Espagne en crise : de Mimoun à Sur le rivage, témoignage et mémoire selon l'écrivain espagnol Rafael Chirbes.
Résumé
Rafael Chirbes est rangé, souvent à tort, comme un écrivain « de la mémoire historique ». Certes, l’histoire récente de l’Espagne est centrale dans toute son œuvre, mais l’angle depuis lequel il aborde cette thématique diffère de celui d’autres romanciers de sa génération. Son travail d’écriture se poursuit comme une quête tenace d’une vérité que les discours canoniques ont tendance à omettre. Le roman devient ainsi un instrument dont cet auteur se sert pour déconstruire une réalité historique dite « officielle ». La fiction apparaît ainsi comme un espace de rencontre où le narrateur propose un certain nombre de pistes de lecture qui amènent le lecteur vers une compréhension complémentaire de la société espagnole. En effet, Rafael Chirbes s’interroge sur les raisons qui ont poussé la société espagnole à préférer l’oubli d’une certaine mémoire, trop douloureuse ou contradictoire, pour bâtir son identité. Or ce choix n’était pas sans risque, car il allait entraîner de lourdes conséquences, dont la récession économique de 2007 n’est que l’une de ses manifestations. De cette manière, l’on perçoit sous la plume de cet écrivain une lucidité rare face au contexte de crise totale que subit l’Espagne depuis une décennie. En effet, si celle-ci est explicitement abordée dans ses derniers titres publiés, elle est déjà tacitement présente dans les romans qu’il a écrits à la fin du XXe siècle. La réflexion sur la question de « mémoire historique » proposée par cet écrivain s’éloigne donc de celle d’autres auteurs contemporains, dans la mesure où il ne s’en sert pas pour conforter le lecteur ou pour consolider le mythe d’une identité nationale ou de la transition comme mythe fondateur de la démocratie, mais plutôt pour apporter des témoignages qui peuvent, certes, déranger mais qui l’aident, toujours, à construire son propre raisonnement critique.
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